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Hors du commun: Les mirages

Chaque semaine, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne 45, direction sud. Nous sommes lundi, il est 15h08. J’arrive à l’arrêt.

L’horaire affiché sur le poteau promet un passage imminent. Une chance! Car les deux dames et l’adolescent qui attendent déjà commencent à montrer des signes d’hypothermie. J’exagère un peu… Mais à peine.

Tous ceux qui ont eu à sortir de leur nid ce jour-là savent à quel point le froid qui sévissait aurait poussé les plus fiers des Québécois, même les plus résistants au froid, à se métamorphoser en snow bird. Ceux-là qui ont pourtant en horreur ne serait-ce que l’idée de la Floride. Ces derniers pourraient très bien, aujourd’hui, rompre avec cette aversion et se procurer un aller simple pour se trouver une planque au pays de Mickey Mouse.

Toujours en attente, nous sautillons sur place pour éviter d’avoir à nous faire amputer quelques orteils.

Soudain, alors que nous scrutons l’horizon, nous laissons échapper un souffle collectif et synchronisé de nos narines givrées. En résulte un petit nuage de vapeur. Ce soupir en est un de joie et de soulagement. Nous l’avons aperçu!

Le bus est encore au loin, mais plein de promesses.

Les deux dames, l’adolescent et moi échangeons des regards et des sourires complices. Nous nous imaginons enfin à l’abri. Nous sommes un échantillonnage d’espèces privilégiées, qui seront sauvées du déluge.

Nous ne quittons pas des yeux ce messie motorisé quand, soudain, nous réalisons qu’il ne s’arrête pas à l’arrêt précédent. Nous craignons le pire. Voilà qu’il change de voie pour s’éloigner de nous.

Notre appréhension était justifiée: sur le panneau, au-dessus du pare-brise, des lettres lumineuses défilent pour former les mots EN TRANSIT.

EN TRANSIT!?!?!?! Le calorifère mobile nous passe sous le nez. C’est comme si ce véhicule nous avait fait un pied de nez géant, au beau milieu de la slush et du frimas.

Nous restons plantés là. L’envie de pleurer nous effleure. Mais l’idée d’avoir à gérer des larmes gelées sur nos joues nous décourage. Alors, on soupire de nouveau.

Et on se console en se disant que nous ne sommes pas des lions, pas des singes, ni une licorne, qui attendent de monter à bord de l’Arche, mais plutôt des Bédouins, au milieu du désert, entourés d’illusions. Cette image nous soulage. On se dit qu’on serait bien mieux dans ces lieux, même déshydratés, même brûlés par le soleil. Au moins nous serions bien au chaud avec nos mirages. J’exagère un peu… mais à peine.

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