Que reste-t-il des folles années jazz de Montréal?
Montréal, ville de jazz. À l’ouverture du 37e Festival international de jazz, la chose semble évidente. Mais bien auparavant, la métropole a vibré au rythme des Duke Ellington, Ella Fitzgerald, Louis Armstrong et autres Billie Holiday. Depuis quatre ans, la guide Leah Blythe propose de retourner sur les traces du jazz à Montréal. Nous l’avons suivie dans le downtown et l’uptown d’autrefois, où il ne reste que peu de traces de cette glorieuse époque.
Tout commence à la gare
Leah Blythe m’accueille à l’ancienne gare Windsor, à côté du Centre Bell. Ce n’est pas un hasard. Dès le début du XXe siècle, l’endroit a attiré de nombreux travailleurs noirs qui ont changé le visage de la ville et du quartier. Des Montréalais ainsi que des Canadiens, des Américains et des Caribéens, comme le père d’Oscar Peterson, viennent s’y établir et travaillent à la gare Windsor – et plus tard à la gare Centrale – comme porteurs. C’est un des emplois les plus intéressants pour les Noirs à l’époque, bien que les conditions soient difficiles. Souvent refusée dans les clubs de la rue Sainte-Catherine dans les années 1920 et 1930, la communauté noire s’unit dans la Petite-Bourgogne, juste au sud de la gare, qui verra apparaître les premiers clubs fréquentés par les Noirs. En 1928, Rufus Rockhead, d’abord porteur à la gare Windsor, ouvrira, angle Saint-Antoine et de la Montagne, le Rockhead Paradise, premier club de Montréal tenu par un Noir.
Uptown c. downtown
Là où le Rockhead Paradise trônait fièrement, il ne reste plus rien. Les bulldozers ont tout rasé sur le terrain où la deuxième tour des Canadiens sera bientôt construite. En face, sur la rue de la Montagne, un terrain de stationnement ne laisse aucun indice de la présence du Café St-Michel, où Oscar Peterson s’est souvent produit. Coin Saint-Antoine et de la Montagne, c’était le hot spot du downtown, explique Leah Blythe. Le secteur faisait «concurrence» au uptown, plus haut, sur Sainte-Catherine. Les clients qui s’y pressaient étaient autant des touristes que des Montréalais, autant des Noirs que des Blancs. Les musiciens noirs de Montréal se produisaient surtout dans le downtown, alors considéré comme le Harlem du Nord.
Il y avait abondance de travail pour les musiciens. Aujourd’hui, ni plaque ni monument ne font référence aux clubs de jazz qui ont accueilli Louis Armstrong ou Sammy Davis Jr.
Les rares traces d’une autre époque
C’est surtout grâce à la Prohibition, qui met les États-Unis au régime sec, que le nightlife montréalais gagne ses lettres de noblesse. Des artistes viennent s’y produire en grand nombre et plusieurs choisissent de s’y établir. Sur la rue Sainte-Catherine, il ne reste aujourd’hui que bien peu de vestiges des grands clubs de l’époque. Dans le bâtiment qui abrite la boutique Urban Outfitters se trouvait autrefois Chez Maurice, club de danse swing où Duke Ellington puis Cab Calloway se sont produits, comme en fait foi la photo que me montre Leah Blythe. C’est un des rares bâtiments ayant accueilli un club de la Catherine qui soit encore debout de nos jours.
De Parker aux boîtes à lolos: le déclin du jazz
Le jazz et toute la vie nocturne montréalaise sont durement touchés pendant l’ère Jean Drapeau, qui souhaite faire un grand ménage. Un autre coupable est à montrer du doigt: la télévision. Les Montréalais n’ont plus besoin de sortir de chez eux pour se divertir. Plusieurs boîtes de jazz se transforment alors en clubs de danseuses, qui ne sont pas menacés par la télé, celle-ci ne montrant alors aucune nudité. Ironiquement, les musiciens parviennent à y trouver un emploi les danseuses doivent se trémousser sur une musique sensuelle, et des pièces de jazz comme Night in Tunisia sont tout indiquées. Toutefois, les enregistrements finiront vite par remplacer les musiciens live. Devant Chez Parée, une institution montréalaise du déshabillage, Leah Blythe me parle de l’ancienne vocation jazz de l’endroit. Appelé Beaux Arts, puis Club Lido, l’endroit a reçu, entre autres, le grand Charlie Parker en 1953.
La lente renaissance
La fin des années 1950 et les années 1960 sont dures pour le jazz montréalais. Ce n’est que vers le milieu des années 1970, avec l’ouverture du Rising Sun, qui était installé devant l’actuelle Maison du Festival de jazz, que cette musique regagne ses lettres de noblesse.Nina Simone s’y produit. Son propriétaire, Doudou Boicel, fonde aussi un festival de jazz. Le House of Jazz, avenue du Président-Kennedy, où Charlie Biddle et Oliver Jones ont souvent été les têtes d’affiche, suit le mouvement et est toujours ouvert. C’est avec la création du Festival international de jazz, en 1980, que Montréal redevient un véritable joueur clé sur la planète jazz.
Visites
Sur les traces du jazz à Montréal
Dans le cadre du Festival de jazz
Les 1er, 2, 3, 9 et 10 juillet
jazztoursmontreal.eventbrite.ca
Dans le cadre des visites de L’Autre Montréal
Les 25 août et 8 septembre
autremontreal.com