Deuxième jour de funérailles, cette fois à Québec
QUÉBEC — Les politiciens et personnalités publiques doivent se rendre compte du tort que leurs mots peuvent causer, a lancé le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, vendredi après-midi, alors que de nombreux Québécois en deuil étaient réunis pour une deuxième journée consécutive, afin de rendre un dernier hommage à des victimes de l’attaque contre le Centre culturel islamique de Québec.
Ce pouvoir des mots et l’importance de bien réfléchir à la parole publique ont pris une grande place au cours de la cérémonie au Centre des congrès de Québec, lors de laquelle fut dit un dernier au revoir à Mamadou Tanou Barry, Ibrahima Barry et Azzeddine Soufiane.
M. Trudeau a ajouté que «c’est à chacun d’entre nous que revient la responsabilité de mener la lutte contre l’injustice et la discrimination au quotidien, à nous de poser les gestes qui sont à l’image de qui nous sommes, du Canada, de ce pays qu’aimaient tant Mamadou, Ibrahima et Azzeddine».
«Cette attaque terroriste survenue dimanche soir a choqué la communauté musulmane du Québec et tous les Canadiens. Elle nous a malheureusement rappelé ce que la communauté sait depuis longtemps, c’est-à-dire qu’à travers le monde, ce sont les musulmans qui sont les plus souvent victimes de terrorisme», a-t-il souligné.
Le premier ministre Philippe Couillard y est allé dans le même sens, prenant soin de prononcer plusieurs phrases arabes entendues au début de la cérémonie — telles «Allaouh akbar» (Dieu est grand), suivies de leur traduction française — afin de montrer ce que signifient véritablement ces mots, trop souvent associés dans la parole publique au terrorisme et à la violence.
«Beaucoup a été dit, beaucoup a été entendu. Souhaitons que beaucoup ait été compris, que si on parle d’égalité pour tous, pour toutes, ça doit vouloir dire quelque chose. Si on dit: « ce n’est pas ce qu’il y a sur ta tête qui compte, mais ce qu’il y a dans ta tête et dans ton coeur », ça aussi, ça doit vouloir dire quelque chose», a déclaré M. Couillard.
«S’il vous plaît, arrêtez de nous dire que nous ne nous intégrons pas. Traitez-nous comme des égaux. N’écoutez pas ce que les autres ont à dire sur nous, venez nous parler pour que nous puissions chasser les stéréotypes», avait d’ailleurs lancé en anglais, en début de cérémonie, Jamil Dhaouadi, un enseignant et membre du Centre culturel islamique du Québec.
Le maire de Québec, Régis Labeaume, a créé un moment de grande émotion en s’adressant au fils adolescent d’Azzeddine Soufiane pour lui dire: «nous t’aimons». Il a également annoncé que la communauté musulmane de la région de la capitale aurait son cimetière musulman.
Les funérailles avaient été précédées d’une séance de prières, présidée par l’imam Hassan Guillet.
«Nous n’avons pas pu choisir ce pays pour naître, mais nous avons pu le choisir pour vivre. Et comme nous avons choisi ce pays-là, nous aimerions beaucoup que ce pays nous choisisse», a lancé l’imam Guillet.
Il a également mentionné les victimes: les morts, les blessés, les témoins, les Québécois et Canadiens, qu’ils soient musulmans ou non. Il a aussi tenu à parler d’une autre victime, «dont on n’a pas parlé».
«Cette victime s’appelle Alexandre Bissonnette», a-t-il soutenu, faisant référence au suspect de la fusillade, qui a été arrêté.
«Avant qu’il soit assassin, il était victime lui-même. Avant de planter les balles dans les poitrines de ses victimes, il y a des mots plus forts qui avaient été plantés dans son cerveau», a-t-il dit.
Le cardinal Gérald Cyprien Lacroix, l’ambassadeur de Guinée et les consules générales du Maroc et de la France font partie des autres intervenants de la cérémonie.
Labeaume s’en prend à la «haine via Internet»
En point de presse à l’issue des funérailles, le maire Régis Labeaume a signalé que le centre de coordination de crise de la Ville de Québec entrait dans une deuxième phase, afin de «voir plus loin que son nez».
«On pense déjà à la ville, à sa réputation, à son économie aussi — il ne faut pas se le cacher», a-t-il exposé.
M. Labeaume dit tourner son regard vers les jeunes qui, selon lui, se trouvent «souvent dans un milieu de haine, de harcèlement» sur Internet.
«Il y a des choses qui ne pourront plus être dites, a-t-il martelé. Un moment donné, il y a des limites. La liberté d’expression ne sera jamais en danger à Québec, au Québec et au Canada.»
«On a le devoir d’investir et de mettre beaucoup, beaucoup, beaucoup d’énergie [dans le vivre-ensemble]», a-t-il lancé à l’intention de tous les dirigeants politiques.
Les six victimes de la fusillade, âgées de 39 à 60 ans, ont été tuées dimanche soir lorsqu’un tireur est entré dans la mosquée et a ouvert le feu sur les hommes qui priaient. De nombreux hommes ont aussi été blessés.
Jeudi, des funérailles s’étaient tenues à Montréal pour rendre hommage aux trois autres victimes, Abdelkrim Hassane, Khaled Belkacemi et Aboubaker Thabti.