Bombardier-Boeing: le dossier est loin d’être clos
WASHINGTON — Il n’y a plus aucun doute possible: l’administration Trump a adopté la tactique «choc et effroi» pour régler ses différends commerciaux, tel qu’illustré par les droits compensatoires préliminaires de près de 220 pour cent infligés mardi à Bombardier.
Le secrétaire au Commerce de Donald Trump a même paru s’en vanter mardi, au moment de l’annonce. Wilbur Ross a souligné, dans un communiqué, la hausse de 48 pour cent du nombre de dossiers antidumping et compensatoires initiés par son agence depuis un an.
Une étude publiée récemment témoignait par ailleurs d’une augmentation de 26 pour cent des représailles commerciales des États-Unis à l’endroit de ses partenaires du G20 pendant le premier semestre, comparativement à 2016. Les producteurs canadiens de bois d’oeuvre comptent d’ailleurs parmi ceux qui en font les frais.
Le combat ne fait toutefois que commencer, même si Washington a accordé à Boeing des droits compensatoires près de trois fois plus élevés que ceux que réclamait le géant de l’aéronautique.
Les experts s’entendent pour le dire: il y aura un moment pour contre-attaquer et plusieurs champs de bataille sur lesquels se défendre. Ils conseillent au Canada de bien choisir ses combats et d’éviter d’envenimer la situation inutilement.
Un analyste de l’Institut Cato de Washington, Dan Ikenson, a expliqué que le département du Commerce existe pour protéger les entreprises américaines — y compris en les conseillant sur la meilleure façon de rédiger leurs plaintes. Il se rallie aux requérants dans 90 pour cent des cas et pourrait même imposer à Bombardier de nouveaux droits antidumping dès la semaine prochaine.
«Le département du Commerce est un pitbull, a-t-il dit. Ils voient ça comme un succès (quand ils imposent des droits)… Ils sont politisés.»
La situation risque d’être différente ailleurs, poursuit M. Ikenson.
Le dossier se retrouvera plus tard devant la International Trade Commission (ITC) des États-Unis, qui devra déterminer si Boeing a réellement été lésée; si la commission juge que cela n’est pas le cas, les droits compensatoires pourraient être annulés. L’agence se range derrière les requérants américains dans 60 pour cent des cas, selon M. Ikenson.
Il conseille aux Canadiens d’explorer une troisième possibilité: le Tribunal de commerce international des États-Unis, une composante du système judiciaire américain qui appuie les étrangers dans une majorité des dossiers qui lui sont présentés.
M. Ikenson croit que cette avenue serait plus judicieuse que le processus de résolution des disputes enchâssé par l’article 19 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Il prévient que les responsables américains pourraient trouver aisé d’en faire fi, puisque l’administration Trump déteste le chapitre 19, qu’elle veut s’en débarrasser dans la prochaine mouture de l’ALÉNA et qu’elle pourrait être heureuse d’en contester l’autorité.
«Je suis convaincu que les tribunaux vont conclure à une malice (de la part de Boeing), poursuit M. Ikenson. Ils ne fabriquent même pas ces foutus avions (ceux que produit Bombardier).»
Il souligne aussi l’ironie de voir Boeing poursuivre quelqu’un en raison de subventions gouvernementales, quand on sait que le géant de l’aéronautique est le principal récipiendaire de l’aide accordée par le gouvernement fédéral américain par le biais de la banque Export-Import des États-Unis — qui est surnommée à la blague la «Banque de Boeing», à Washington.
«Ils (Boeing) sont vraiment installés autour de la mangeoire», selon M. Ikenson, qui y va d’un dernier conseil pour Bombardier: dépensez votre argent pour faire pression sur les élus américains, et ébruitez dans les couloirs de Washington les répercussions que pourrait avoir cette décision sur le prix des avions et des billets d’avion.
Les droits compensatoires ne deviendront toutefois réels que dans plusieurs mois, puisque Delta ne prendra possession des premiers avions qu’au printemps. La situation est donc différente du bois d’oeuvre, quand les prochaines cargaisons à traverser la frontière ont immédiatement été frappées.
L’avocat Mark Warner, qui se spécialise dans les questions commerciales Canada-États-Unis, explique que cela donne du temps à Bombardier.
«Tout le monde va s’énerver avec ça, dit-il. Mais calmons-nous. Il y a encore du chemin à faire.»
Il croit que le gouvernement canadien aurait tort de réagir de manière irréfléchie dans deux domaines: l’achat des chasseurs Super Hornets et les discussions concernant le chapitre 19. Si le Canada veut acheter ces chasseurs et s’il est prêt à discuter de changements au chapitre 19, alors il devrait rester calme et ne pas brouiller l’eau, a-t-il dit.
«Laissons ça à l’extérieur de l’ALÉNA, conseille M. Warner. Ayons une conversation rationnelle au sujet du chapitre 19.»
Les observateurs ont été estomaqués par les droits imposés à Bombardier, alors que Boeing demandait 80 pour cent.
«C’est quelque chose de voir qu’ils ont eu 219 pour cent, dit M. Warner. C’est élevé.»