Projet de loi sur les mères porteuses: les libéraux se font rassurants
OTTAWA — Le député libéral Anthony Housefather a cherché à minimiser les préoccupations liées à une dérive vers une marchandisation du corps des femmes en déposant son projet de loi sur les mères porteuses, mardi.
L’élu a évoqué des études américaines et britanniques pour faire valoir que les femmes qui décident de porter un enfant pour autrui sont généralement scolarisées, issues de la classe moyenne, en couple et déjà mères de famille.
«Les gens qui ont dit: « Oh mon Dieu, ce qui va arriver, c’est que les femmes les plus pauvres vont être les mères porteuses »… ça n’arrive pas», a-t-il lancé en conférence de presse au parlement, flanqué de personnes favorables à la cause.
«Ces études démontrent que ça n’arrive pas, et les agences qui travaillent avec ces femmes ont généralement une condition qui dit que si vous êtes sur l’assistance gouvernementale, vous ne pourriez pas être mère porteuse», a avancé M. Housefather.
Invité à fournir ces études, son bureau a envoyé à La Presse canadienne plusieurs liens menant à des articles de journaux et de magazines — incluant un lien vers un blogue qui dit l’inverse de ce que le député a plaidé concernant le profil social et économique des mères porteuses.
En conférence de presse, Anthony Housefather a insisté qu’il ne fallait pas «entrer dans (les) hypothèses» voulant que rendre légal le paiement pour les mères porteuses et les dons de sperme et d’ovules puisse mener à la marchandisation du corps des femmes.
La professeure Isabel Côté, du Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), abonde dans le même sens, disant trouver malheureux le «cliché» de la «location d’utérus», qui «dénature les motivations» des femmes qui font ce choix.
Le projet Housefather lui semble intéressant, car depuis que les dons ne sont plus rétribués (2004), on a constaté une «baisse importante des donneurs canadiens» qui oblige les gens à se tourner vers les banques de gamètes américaines, a-t-elle expliqué en entrevue.
Le «tourisme procréatif» mène aussi des Canadiens dans des pays plus pauvres comme la Thaïlande ou le Mexique, et «le Canada ferme les yeux sur ces citoyens qui font quelque chose à l’étranger qu’ils ne peuvent pas faire au pays», a remarqué la professeure Louise Langevin.
«Alors ce projet de loi là, si on veut lui trouver un effet positif, va tenter de corriger une forme d’exploitation de pays du Sud», a souligné en entrevue celle qui enseigne à la Faculté de droit de l’Université Laval.
Mais lorsqu’on aborde la question des mères porteuses, on «ne peut ignorer» celle de «l’exploitation du corps des femmes», a tranché Mme Langevin. Elle note aussi qu’avec les progrès médicaux en matière de fécondation, la société se rapproche «du droit à l’enfant».
«Une personne seule ne peut se reproduire seule. Est-ce qu’elle a un droit à l’enfant? Un couple de même sexe ne peut se reproduire seul. Ce couple qui ne peut pas se reproduire par lui-même, est-ce qu’il a un droit à l’enfant?», a soulevé la professeure.
La mesure législative C-404 mise de l’avant par Anthony Housefather modifierait la Loi sur la procréation assistée de 2004 afin de décriminaliser la rétribution des donneurs de spermatozoïdes ou d’ovules et des mères porteuses.
Elle énonce aussi notamment que les donneurs de gamètes ne peuvent avoir moins de 18 ans et être forcés à faire le don, et que les mères porteuses ne peuvent être âgées de moins de 21 ans et être forcées par un tiers à le devenir.
À Ottawa, des élus libéraux sont déjà à pied d’oeuvre pour mousser la mesure législative, a indiqué mardi son instigateur.
«Nous avons formé un petit groupe de huit députés dans le caucus libéral qui travaille sur le projet de loi, et j’ai l’appui, je crois, d’un grand nombre de personnes de notre caucus», a expliqué M. Housefather.
Il n’a pas été en mesure de préciser, mardi, quand C-404 pourrait être débattu en Chambre. Entre-temps, il a dit continuer d’approcher des élus d’autres formations pour tenter d’en faire une mesure qui va au-delà des lignes partisanes.
Le député a précisé que le projet de loi ne mènerait pas à la création d’un régime national sur la rétribution des dons de sperme, d’ovules et des mères porteuses, et qu’il offre plutôt «toute la latitude voulue aux provinces (…) de permettre ou non la rétribution».
Il dit avoir eu une «brève conversation» sur ses velléités législatives avec le premier ministre québécois Philippe Couillard lors d’un événement qui s’est tenu dans la circonscription qu’il représente aux Communes, celle de Mont-Royal.
«Mais je laisse au Québec à 100 pour cent les outils pour faire des règlements sur le sujet, mais il n’y a aucune obligation de la part du Québec de permettre la rémunération», a offert Anthony Housefather lorsqu’on lui a demandé comment le dirigeant québécois avait réagi.
Au Québec, les contrats signés entre une mère porteuse et les parents de substitution n’ont aucune valeur légale, en vertu du Code civil. Le gouvernement Couillard devait entreprendre une réforme du Code civil et du droit familial, notamment pour traiter de ces questions.
Un rapport qui se penchait entre autres sur les règles de filiation et les droits de l’enfant — peu importe le mode de conception — a été produit, mais il a été mis sur une tablette, et le projet de réforme, mis de côté.