Le vieux vicieux
Tout le monde s’inquiète de la présence de pédophiles dans nos quartiers. On se demande où ils se terrent et, surtout, si on va pouvoir les pincer avant qu’ils ne fassent une autre victime. Certains aimeraient qu’un registre public soit constitué pour les répertorier. D’autres souhaiteraient carrément voir leur photo affichée sur les poteaux de téléphone. Cette fin de semaine, un quotidien de Montréal a même publié une carte où on signalait quelques quartiers chauds où ils auraient élu résidence. Succombons-nous à un accès de paranoïa? Sûrement pas.
Paradoxalement, même si on dit que la terre est un village, il arrive parfois qu’un monde nous sépare de notre voisin le plus proche. Le connaissez-vous, votre voisin? Savez-vous au moins quel est son nom de famille? À cet égard, je n’ai aucune leçon à donner à personne, j’habite au même endroit depuis 10 ans et je ne sais à peu près rien de ceux que je salue pourtant sur une base quotidienne.
Ce ne fut pas toujours le cas. Là où j’ai grandi, par exemple, tout le monde se connaissait. De l’autre côté de la rue, il y avait la famille Boily. Juste à côté se trouvaient les Hamelin. Le monsieur était propriétaire d’une buanderie, et sa femme vouait une furieuse dévotion à saint Antoine de Padoue. En continuant vers le nord, il y avait les Nolet et leurs trois fils. Puis, les Ouellet et leur papa qui avait un air de «beu». Et les Vézina, les Robert et finalement les Dawson, qui avaient un fils sourd et muet, mais qui était néanmoins anglophone. La dame me l’avait confirmé quand je lui avais posé la question… Tout cela pour dire que tout le monde en savait un bon bout sur la vie des autres. Parfois, c’était lourd, mais d’autres fois, ça devenait fort utile.
Deux rues plus loin habitait un petit monsieur au teint rosé et aux cheveux prématurément blanchis. Sympathique comme tout, il nous faisait des clins d’œil complices quand on passait devant la petite maison où il vivait seul, juste au coin de l’école et du parc à balançoires. Pour attirer les ti-culs du quartier, il avait aménagé un terrain de golf miniature où on pouvait jouer g-r-a-t-i-s-s-e et à volonté. Gommes ballounes et putters inclus! Pour nous, qui devions débourser 25 cennes par partie au vrai mini-putt, l’aubaine était absolument séduisante. Le monsieur avait même informé toute la marmaille qu’on pouvait toujours aller le réveiller dans sa chambre pour récupérer nos bâtons si on ne le voyait pas dans son jardin. Il disait qu’à son âge, il aimait bien faire la sieste. Avec un autre clin d’œil, bien entendu. Nous avions 9 ou 10 ans, pas plus.
J’imagine que vous voyez venir la suite… Eh ben non. Que je sache, il ne s’est rien passé ensuite avec qui que ce soit dans ma gang. Pourquoi? Parce que dans le quartier, tout le monde était au courant de l’histoire de ce célibataire endurci (!). Même s’il se donnait un mal fou pour nous tenter, personne n’allait frapper à sa porte. Celui qu’on appelait «le vieux vicieux» était connu de tous, et les enfants étaient informés de ses tendances dès qu’ils emménageaient dans le coin. Selon ce qu’on m’avait raconté, ses méfaits remontaient à loin, mais son histoire le suivait encore, et pour toujours. Bien bon pour lui, vieux cr…
Les années 1970 n’étaient peut-être pas «l’ère des communications», mais je vous assure que l’information circulait quand même très bien…
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