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Décoloniser son assiette

Arctic char river pebbles. Salvelinus alpinus, caught on spinning in the region of the Putorana plateau. Photo: Getty Images/iStockphoto

Whapmagoostui est une communauté crie très différente de celle d’où je viens. Ses paysages nordiques, la cohabitation entre les Cris et les Inuit et le dialecte parlé ici font en sorte que chaque visite est pour moi une occasion de découverte. Ici, il y a déjà de la neige au sol. Si les vagues de chaleur de cet été vous ont traumatisés comme elles m’ont traumatisée, vous seriez bien ici. 

Chaque fois que je me trouve plus au nord, j’aime essayer de mettre la main sur des produits locaux. Je suis donc allée à la Coop du Nunavik pour m’acheter un omble de l’Arctique, un poisson très commun et apprécié des Inuit. Je suis retournée bredouille, trébuchant presque sur une peau de caribou non loin de là. Pas de poisson à la Coop. Un homme que j’ai rencontré au travail lors de ma dernière visite m’en a donc offert un, puisqu’il sait à quel point j’aime la nourriture traditionnelle. En prime, j’ai même pu entendre ses histoires de pêche du temps où son père l’amenait en territoire. Les gens de mon peuple sont bons et généreux. J’en ai la preuve chaque jour quand je suis en Eeyou Istchee.

Mon poisson attire les Allochtones curieux pendant qu’il dégèle dans la cuisine de l’hôtel. C’est un peu ma façon de me réapproprier mon espace. C’est aussi pour moi une façon de prendre soin de moi. Je me rends compte en vieillissant à quel point une alimentation saine, venant de ce que mon territoire me donne, a des effets positifs sur mon sommeil, mon énergie et mon poids. Nos nutritionnistes au Cree Health Board savent aussi à quel point une diète traditionnelle est plus appropriée que ce que le Guide alimentaire canadien nous suggère, pour nous du moins. Ainsi, elles ont adapté le matériel éducatif à nos besoins. Même le Guide alimentaire est censé changer sous peu.

Les nutritionnistes, même si elles ne viennent pas du territoire, prennent quand même le temps d’établir de bonnes relations avec les aînés de la communauté dans le cadre de leur travail, puisqu’ils sont les experts en matière de nutrition sur le territoire. Ceux-ci sont aussi plus à l’aise, j’imagine, sachant que les nutritionnistes le font pour les gens d’ici. Nous avons souvent une certaine réticence à partager nos connaissances, surtout celles relatives aux plantes médicinales. La peur qu’elles soient commercialisées comme les autres ressources que nous avons ici nous pousse à partager ce que nous savons avec prudence. Malgré tout, des gens du sud viennent cueillir du thé du Labrador ici pour le revendre, sans donner de posologie. Les gens boivent ça comme du café, ne sachant pas que c’est fort pour le foie.

La chasse a été mauvaise pour plusieurs dans les communautés plus au sud. L’industrie forestière perturbe les habitudes des animaux dans le coin, empêchant ainsi plusieurs Cris de se nourrir comme ils le devraient. Protéger le territoire, c’est aussi une question de saine alimentation. Tout est dans tout.

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