Débarricader la pensée et le cœur
Les fausses nouvelles sur les réseaux sociaux sont devenues monnaie courante. Pas besoin d’avoir une plateforme élaborée : un simple statut sensationnaliste sur Facebook suffit pour obtenir un effet viral.
Récemment, deux publications fausses ont retenu l’attention dans le monde virtuel québécois. La première venait d’une femme qui prétendait avoir vu la mairesse Valérie Plante participer à une manifestation contre le projet de loi 21, alors que cette dernière se trouvait plutôt…en Argentine. La seconde est celle d’un homme affirmant que les cafés du Petit Maghreb sont interdits aux femmes. Deux faussetés.
On se consolerait plus facilement si ce type de désinformation était uniquement l’œuvre d’internautes marginaux. Mais ce n’est pas le cas. Difficile d’oublier la journaliste de TVA qui avait fait un topo sur une mosquée ayant supposément demandé qu’il n’y ait pas de femmes sur un chantier de construction à proximité. Même des député-es s’étaient fait avoir en partageant la nouvelle alors qu’il s’agissait d’une pure invention.
Le plus inquiétant est que même lorsque ces fausses histoires sont contredites, elles continuent de circuler. L’effet boule de neige sur les réseaux sociaux ne s’arrête pas.
J’en sais quelque chose. En 2014, il m’a fallu entreprendre des procédures judiciaires à l’égard d’un blogueur qui tentait de miner ma réputation. Cinq ans plus tard, après avoir gagné un procès contre lui, je vois encore des commentaires d’internautes qui demandent « Qui finance Dalila Awada ?! » ou carrément « Dalila Awada est financée par les Frères musulmans ».
Lorsque je m’aventure à répondre à ces gens, le plus souvent, les rectifications sont ignorées.
Manifestement, les personnes qui partagent des faussetés sur Internet n’ont pas l’intention de s’embarrasser des faits. Beaucoup barricadent leurs pensées et ne veulent rien remettre en question. Les préjugés s’accrochent comme des ventouses.
Et même si la rectification des faits est nécessaire, elle ne suffit visiblement pas. Elle semble même ne pas fonctionner souvent. Alors, que faire devant cette irrationalité tenace?
Il n’y a pas de solution toute faite pour répondre à ça, mais il importe de ne pas perdre de vue l’aspect émotif. Car ce sont les émotions qui poussent à puiser dans les préjugés et les stéréotypes pour formuler des opinions.
Inconsciemment, on cherche des réponses faciles qui viennent conforter nos croyances. C’est entre autres pour ça que la rectification des faits peut échouer.
C’est ce que rappelle l’auteur Shakil Choudhury dans son livre Vivre la diversité. Il explique à quel point les émotions sont dominantes et participent à façonner les dynamiques entre les différents groupes d’une société.
Pour contrer la désinformation donc, il faudrait aussi atteindre le cœur. Et ça c’est ardu dans un contexte où la machine politique pousse dans le sens contraire en alimentant les tensions. Mais jumelé au travail de fact-checking, le travail de rapprochement et de cohésion soutenu peut porter fruit.