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Coronavirus: la gestion «industrielle» des CHSLD dénoncée

L’hécatombe vécue dans les CHSLD lors des dernières semaines n’est pas uniquement attribuable à la virulence du coronavirus. La gestion et le mode d’organisation dysfonctionnel des centres d’hébergement a aussi contribué à accroître la crise, estiment des chercheurs en gériatrie.

Les chiffres sont effarants. Avant même le début de la crise, 20% des préposés aux bénéficiaires en CHSLD quittaient le métier après un an seulement.

Sur 100 personnes embauchées, il n’en restait plus que 36 en poste cinq ans plus tard, selon des statistiques compilées dans l’ouvrage Les organisations de soins de longue durée – Points de vue scientifiques et critiques sur les CHSLD et EHPAD, qui paraît aujourd’hui aux éditions Presses de l’Université de Montréal.

Un fort taux de roulement qui s’explique par la dureté des conditions de travail, mais aussi par la précarité des postes disponibles: près de 70% des préposés ont un statut à temps partiel, ce qui implique des horaires et des milieux de travail variables. En temps de pandémie, ce mode d’organisation a eu des conséquences funestes.

«Les préposés à temps partiel occasionnel ont dû remplacer les préposés à temps complet malades. C’est eux qui ont été les propagateurs du virus d’une unité à une autre», estime François Aubry, qui a codirigé le recueil avec Yves Couturier et Flavie Lemay.

Métro en a discuté avec M. Aubry, qui est professeur au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais, ainsi que chercheur au centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM).

La pénurie de personnel est-elle systématique dans les CHSLD?

Il existait déjà une pénurie de personnel avant la crise, qui se ressentait principalement l’été, lors des vacances. Les taux de blessures et d’absence à long terme pour des raisons psychologiques étaient déjà la hausse en raison de la pression colossale sur les employés. C’est l’un des métiers dans lesquels on perdait le plus de joueurs. L’attraction et la rétention des employés en CHSLD étaient déjà des enjeux majeurs avant la crise. Mais la pandémie a encore exacerbé la situation.

Dans votre ouvrage, vous parlez d’un mode d’organisation «industrielle» pour les CHSLD. Comment en est-on arrivé là?

On utilise un mode d’organisation qui soutient qu’on peut remplacer n’importe quel employé par un autre, comme un boulon ou une vis. On emploie énormément de préposés à temps partiel occasionnel, qui travaillent sur appel chaque jour dans des milieux différents : un jour à l’hôpital, l’autre au centre d’hébergement. Or, les données nous disent que les patients ont besoin d’une relation d’affinité avec le préposé pour se sentir bien.

«Les augmentations de salaire, c’est important, mais réduire la précarité des préposés, ça m’apparaît central.» François Aubry, chercheur au centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal

Également, il n’y a pratiquement aucune forme de valorisation du personnel dans cette structure très hiérarchique. Normalement, c’est le chef d’unité qui doit faire ce travail de valorisation, mais ne se produit pratiquement jamais, parce que les gestionnaires de ce niveau sont complètement débordés avec d’autres tâches. Cette industrialisation ne date pas de l’ère Barrette. C’est plus ancien. C’est une méthode qui cherche le maximum d’efficacité avec le minimum de main d’œuvre.

Quel effet a cette méthode de gestion sur les résidents?

Il y a des résidents qui peuvent s’accommoder d’être soigné et assisté par différents préposés. Mais il y en a d’autres pour qui ç’a un impact majeur sur le bien-être de sa personne. Les résidents des CHSLD sont en perte d’autonomie et le personnel doit faire l’essentiel des tâches à leur place : les déplacements, les soins d’hygiène, la toilette. Une relation stable entre le préposé et le résident permet pourtant de gagner en efficacité. Les préposés savent construire des relations d’affinité efficaces avant les résidents. Ils savent négocier avec eux et développer des stratégies très utiles qui nous éloignent d’un mode de gestion industriel.

Est-ce que les préposés aux bénéficiaires ont voix au chapitre en termes d’organisation?

Les préposés n’ont pas d’ordre professionnel. Ils ont un syndicat qui les défend, mais ils n’ont pas la capacité de se faire entendre dans le fonctionnement des CHSLD. Même s’ils ont beaucoup d’expertises à donner, il n’y a pas encore de stratégie pour les prendre compte.

Est-ce que réduire la taille des institutions serait un pas dans la bonne direction?

Oui et non. La taille peut avoir un rôle, mais encore faut-il que l’organisation des services demeure à dimension humaine et fasse en sorte que les préposés aient un sentiment d’appartenance pour le service dans lequel il travaille. Ça peut arriver dans les petites comme dans les grandes structures.

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