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Injustices systémiques

Photo du chroniqueur Frédéric Bérard avec titre de sa chronique, In libro veritas
Photo: Métro

À l’instar de son visage, le ton est autant serein que déterminé. Refus de résignation et volonté de dénoncer l’ignominie, sauce zen. Fascinant mixte.

Kwadwo Yeboah est débarqué dans nos bancs de neige en 1990, en provenance de son Ghana natal. Il a alors huit ans.

-Pourquoi le Québec?

-Parce mon père souhaitait que l’on devienne bilingues, l’anglais étant la langue principale du Ghana.

Québécois à part entière, par choix, ainsi donc. De coeur et d’esprit, sentiment imprégné à même notre entrevue Zoom. Lui, bien mis, chic à l’os. Moi, habillé en fermier, cheveux tout croche. Lequel des deux est avocats? Selon le SPVM, facile : un Noir, ça ne devient pas avocat….

***

Me Yeboah roule au volant de la voiture de sa femme, une Mercedez (blanche! me crie-t-il avec humour), sa fille de quinze ans à ses côtés. Direction quartier chinois, 18h30, où leur commande les attend. S’arrêtant à une lumière, il remarque une voiture policière et, surtout, son flic qui le dévisage. Les lumières s’allument. Celles du char de police. Aucune idée de ce qu’on peut bien lui reprocher. Mais bon, un classique, pense-t-il. Celui de l’interpellation sans fondement outre, bien entendu, le fait de conduire une auto de luxe avec…la mauvaise couleur de peau.

-C’est à toi, l’auto?

-Non, à ma femme.

-Permis, enregistrements et preuve d’assurance.

Il remet la première pièce sans broncher, et lui demande quelques secondes le temps de retrouver les deux dernières.

Alors que le flic retourne à son véhicule, un autre, toujours du SPVM avec deux autres policiers à l’intérieur, se stationne à sa droite. Il commence à stresser, tout comme sa fille-ado. Fouillant à toute vitesse ses courriels, il retrouve la preuve d’assurance requise. Hourrah.

Souhaitant s’éviter une contravention à cet effet, il sort de sa Mercedez afin de signaler sa trouvaille aux policiers. Mal lui en pris. Les quatre lui sautent dessus, lui plaquent la face dans la vitrine de char, une clef de bras, lui passent les menottes. Dans l’intervalle, un nouveau char de flics débarque, portant le total de joyeux constables à…six. On niaise pas avec ça, les Noirs, au SPVM.

Sa fille sort du véhicule, gueule à l’attention des tortionnaires :

-Mais qu’est-ce que vous faites! Lâchez-le!

-Retourne dans l’auto, sinon ça va mal finir! Pis toi, on t’arrête pour faux permis.

-Hein?!? Mais il est valide, mon permis!

Quelques secondes plus tard, il aperçoit deux des matamores en train de fouiller son portable.

-Vous ne pouvez pas faire ça, je suis avocat! Secret professionnel, vous n’avez pas le droit!

Les policiers lui rient en pleine face. Ben oui, ben oui. Un avocat noir….

Alors que le premier poursuit la fouille illégale (on se demande bien ce qu’il cherchait, par ailleurs), le deuxième a maintenant les deux mains dans son portefeuille. Oupsi. Carte du Barreau. L’arrogance s’évanouit, enfin.

-Écoute mon gars, si tu promets de ne pas te fâcher, on va t’enlever tes menottes et te laisser partir. On te donne seulement un ticket pour cellulaire au volant, et c’est tout.

-Ne pas me fâcher?!?

-Allez, allez, reste cool, et on te laisse partir.

-Et je ne parlais même pas au cellulaire!

***

 Me Yeboah me raconte le tout, sans élever la voix ou presque, d’un ton quasi monocorde. L’indignation, même silencieuse, demeure indicible.

-Ça vous est arrivé souvent, des trucs du genre?

-Bien entendu. Mais cette fois, c’était différent.

-Pourquoi?

-Parce que ma fille était présente. Elle a tout vu: l’agressivité, la violence, les menottes, le mépris.

-J’en suis désolé, vraiment.

-Merci. Vous savez ce qu’elle m’a demandé, ensuite?

-Non?

-Papa…

Sa voix se casse un brin.

-Papa, est-ce comme ça à chaque fois que tu sors de la maison?

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