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Mais encore… Le jugement sur la Loi 21 crée-t-il «deux Québec»?

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Un drapeau du Québec déchiré. Photo: Christophe Boisson/123rf.com

Si la décision du juge Marc-André Blanchard est confirmée par la Cour suprême du Canada, une femme qui porte un hijab pourra enseigner dans une école d’une commission scolaire anglophone, mais ne pourra toujours pas faire de même dans une classe francophone, en vertu de la Loi 21 sur la laïcité de l’État. Y aurait-il «deux Québec»? Métro a demandé à deux experts leur avis sur le sujet.

Après des mois de délibérations, le juge Marc-André Blanchard a déposé mardi matin son jugement étoffé sur la très contestée Loi 21, aussi appelée Loi sur la laïcité de l’État.

Si le magistrat maintient l’essentiel de la législation, il soustrait les commissions scolaires anglophones et les élus de l’Assemblée nationale à l’interdiction du port de signes religieux et à l’obligation du visage découvert prévues dans la Loi sur la laïcité de l’État.

Rapidement, la portion du jugement qui concerne les commissions scolaires anglophones a fait polémique. Le gouvernement du Québec a été le premier étonné, annonçant qu’il portera la décision en appel.

Selon le premier ministre François Legault, le raisonnement du tribunal qui le conduit à lever — au nom des droits de la minorité linguistique — l’interdiction du port de signes religieux dans les écoles publiques anglophones est «illogique».

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a même fait allusion à une division. «Il n’y a pas deux Québec», a-t-il déclaré.

Effet de la clause dérogatoire

Le professeur en droits et libertés de la personne à la Faculté de droit de l’Université Laval Louis-Philippe Lampron explique que la décision du juge repose beaucoup sur «le choix qui a été fait par le gouvernement du Québec d’intégrer dans la Loi sur la laïcité la dérogation mur à mur de tous les droits fondamentaux protégés par la Charte canadienne et la Charte québécoise.»

En effet, en invoquant la clause dérogatoire, le législateur québécois a véritablement «lié les mains» de la Cour, renchérit la professeure associée de la Faculté de droit de McGill Pearl Eliadis.

Or, cette clause, aussi appelée la «clause nonobstant», ne s’applique pas à tous les articles de la Charte canadienne des droits et libertés. C’est notamment le cas de l’article 23, qui accorde des droits constitutionnels aux minorités linguistiques dans la gestion de leurs écoles.

Pour protéger les minorités

Pearl Eliadis n’est pas du tout surprise par le verdict qui est tombé cette semaine. «On s’attendait à ça parce que c’est clairement prévu dans la Constitution canadienne, dit-elle. C’était le minimum auquel on s’attendait du jugement.»

L’article 23 de la Charte canadienne prévoit la protection de certains droits propres aux communautés linguistiques minoritaires au Canada.

À l’extérieur du Québec, on parle de la communauté francophone, alors qu’ici cela concerne la communauté anglophone. «C’est vraiment un des principes de base dans notre constitution», indique Mme Eliadis.

La professeure fait un parallèle avec des exemptions et des droits spéciaux prévus dans la Constitution canadienne qui s’appliquent aux peuples autochtones, par exemple.

«Ce n’est pas qu’il y a deux Québec ou trois Québec ou 4,3 Québec, illustre-t-elle. C’est que nous avons plusieurs principes dans notre Constitution qui reconnaissent la diversité, les droits acquis et les droits ancestraux pour s’assurer que la paix sociale soit protégée.»

La notion «d’unité culturelle» est plutôt un principe constitutionnel français, précise Mme Eliadis. «Ce n’est pas la réalité canadienne. La France n’est pas un pays qui est érigé sur la base de l’immigration comme le Canada. Ce n’est pas un pays où on reconnaît de façon constitutionnelle la diversité culturelle des gens.»

Interprétation trop large de l’article 23?

De son côté, Louis-Philippe Lampron a une vision différente des choses.

S’il convient que l’objectif de l’article 23 est de protéger la dualité linguistique qui caractérise le Canada, M. Lampron estime qu’il est difficile de l’interpréter dans une conception culturelle comme l’a fait le juge Marc-André Blanchard.

Selon lui, la portée de l’article 23 s’arrête à la langue et à la capacité de la minorité anglophone d’enseigner à leurs enfants dans leur langue maternelle. «Il fallait qu’il [le juge Blanchard] l’élargisse beaucoup pour être capable de faire entrer une loi qui n’a rien de linguistique, comme la Loi sur la laïcité de l’État», explique Louis-Philippe Lampron.

Si on élargit la portée de l’article 23 à l’aspect culturel, d’autres litiges pourraient s’en servir, ajoute-t-il. «Prenons comme exemple le programme d’histoire qui est déterminé par le ministère de l’éducation du Québec. Si jamais la communauté anglophone s’opposait à certains aspects de ce programme-là, est-ce que soudainement l’article 23 deviendrait une prise permettant de contester ça?», demande le professeur.

Lampron voit même un «paradoxe» entre le rejet des «arguments créatifs» soumis par les opposants de la Loi 21 pour «contourner» la clause dérogatoire et l’interprétation plutôt «large» et «créative» de la portée de l’article 23.

Ce faisant, le professeur est d’avis que la décision «divise en deux» le Québec «sur la base d’un critère linguistique en ce qui concerne les commissions scolaires pour les enfants d’âge primaire et secondaire.»

Le jugement portée en appel

Québec a annoncé son intention de porter en appel la décision de la Cour supérieure, et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a annoncé vendredi son intention de faire de même. «La FAE entend continuer de défendre le droit au travail », a fait valoir son président Sylvain Mallette.

Il y a un proverbe qui dit «attention à ce que tu souhaites, tu pourrais l’obtenir» et c’est ce dont Pearl Eliadis prévient le gouvernement.

«Il faut faire attention parce que c’est déjà une décision très prudente, dit-elle. Il y a vraiment un danger, quand le gouvernement fait appel, qu’il ait une mauvaise surprise à cet égard.»

En somme, la décision de la Cour suprême pourrait autant pencher des deux côtés de la balance, soit en faveur des opposants que des défenseurs de la Loi 21.

Le jugement sur la Loi 21 crée-t-il deux Québec ?

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