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Repenser le monde (en mieux)

Photo du chroniqueur Frédéric Bérard avec titre de sa chronique, In libro veritas

Bel été, non? Un temps superbe, temps plein, et accalmie (relative) côté haine sur les réseaux sociaux. Du bonheur en canne, et j’espère que vous avez la chance d’en profiter (au moins) un brin. 

Perso, j’éprouve un plaisir fou à me taper ou retaper trop de lectures délaissées pendant l’année folle, celle où la mixture des obligations professionnelles et du tourbillon individualiste nous fait perdre de vue l’essentiel. Précisément à cet effet, d’ailleurs, l’oeuvre de la magnifique Hannah Arendt se veut assurément pertinente. L’une des intellos les plus percutantes du 20e, la valeur de ses analyses font peur, tellement leur acuité détonne de celle de ses collègues d’époque. Mieux : ces dernières sont, étonnamment, aisément transposables à notre petit monde 2021. 

Parmi plusieurs thèses et leitmotive développés par la politologue et philosophe, celui-ci a particulièrement pour conséquence de brasser le cocotier :  dépassons les frontières de notre routine, le bonheur constituant une aventure collective inédite, bourrée d’imprévus, à laquelle tous et chacun gagnerait à y participer. 

N’est-ce pas là, notamment à l’ère d’une galvanisation excessive des médias sociaux, le cimetière potentiel de notre humanité? Parce que de quoi, au fait, notre quotidien est-il aujourd’hui comblé? Soyons honnêtes : une lutte effrénée aux bébelles matérielles, lesquelles requièrent par définition un fric toujours grandissant, celui-ci gobant, par l’entremise d’un labeur sans fin (et sans droit à la déconnexion), la quasi-totalité des heures disponibles à l’accomplissement du bonheur collectif discuté par Arendt. Celui fondé non pas sur le dernier gugusse en vente, mais plutôt sur l’idée de donner quelconque valeur à l’action et à oeuvre commune. Pourquoi et comment, je vous le demande, obéir sans discussion à ces injonctions de productions constantes?

Si le concept d’action réfère aux grandes idées, découvertes et aventures politiques, celui afférent à l’oeuvre relève pour sa part de la manière dont nous nous approprions le monde afin à travers l’art, le patrimoine et savoir-faire. 

Ces deux colonnes du triumvirat (l’autre étant le travail) délaissées, nul doute que nos existences ratent le coche, et font en sorte de rendre pratiquement acceptables les pires ignominies. Une forme de résignation anticipée, faute de perspectives, de temps et d’engagement politique. 

Ceci rejoint, en un sens, John Stuart Mill : « Les hommes perdent leurs aspirations supérieures comme ils perdent leurs goûts intellectuels, parce qu’ils n’ont pas le temps ou l’occasion de les satisfaire; et ils s’adonnent aux plaisirs inférieurs, non parce qu’ils les préfèrent délibérément, mais parce que ces plaisirs sont les seuls qui leur soient accessibles, ou les seuls dont ils soient capables de jouir un peu plus longtemps. »

Exagérations ou généralisations ? Possible. Mais quoi penser de ces voyages dans l’espace de nos parvenus autocélébrés? Qui pour interdire ce méga-sabotage environnemental, le tout à des fins d’une débile compétition de savoir-qui-pisse-le-plus-loin? Qui pour tenter, sérieusement je veux dire, le génocide des Ouïghours par la Chine? Qui pour stopper Bolsonaro et sa destruction massive de l’Amazonie, dont le tiers produit dorénavant davantage de CO2 qu’il n’en gobe? Qui pour mettre fin aux effarantes iniquités fiscales actuellement en cours, lesquelles permettent justement au bozo d’Amazon de s’envoyer en l’air, alors que ses ex-employés gagnent moins que le nécessaire pour vivre, tout en pissant dans des bouteilles afin d’optimiser leur « rendement »?

En jasant de ce qui précède avec quiconque, fort probable que la réaction initiale en sera une de dégoût, d’injustice. Ce qui, somme toute, est rassurant. La deuxième réac, cela dit, en sera vraisemblablement une d’incapacité : mais que puis-je faire, seul dans mon coin, pour lutter contre des machinations semblables?

C’est justement là où Arendt intervient : en réalignant notre temps et énergie sur les axes de l’oeuvre et de l’action, donc en repensant norme et morale, la quête de cette humanité perdue devient, par la force des choses, plausible. 

On lâche Facebook et on s’y met?

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