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Le party (reporté) de Raïf Badawi 

CHRONIQUE – Raïf Badawi, blogueur et militant des droits de l’homme auréolé, est (finalement) libéré après 10 ans de prison. L’euphorie. Entre autres celle du premier ministre Legault, qui déclare: «Enfin! Je ne cesse de penser aux enfants qui vont enfin retrouver leur père.» La mairesse Plante, elle, souhaite à Badawi «de profiter de sa liberté retrouvée».

Les faits, malheureusement, risquent de casser le restant de party. Parce que ceux-ci, dixit Lénine, ont la tête dure.

D’abord, que l’ancien lauréat du prix Reporters sans frontières pour la liberté de la presse – et double candidat au prix Nobel de la paix – a non seulement purgé l’entièreté de la peine, mais davantage, sa libération étant prévue à la fin du mois de février. 

Ensuite, qu’il doit aujourd’hui verser une amende punitive (salée) de 335 000 $, imposée au moment de sa condamnation. Aucune idée de la solvabilité du courageux, mais souhaitons que la solidarité québécoise et internationale signe le chèque. Peu le méritent autant. 

Troisièmement, qu’en vertu de sa sentence, l’homme ne pourra plus bosser dans les médias, lesquels perdent, du moins pour l’instant, une figure d’exception. 

Enfin, et surtout, que Badawi ne pourra sortir de son nouvel enfer sur terre, l’Arabie saoudite, avant… un autre 10 ans. Le lendemain de sa sortie de prison, une source au sein du ministère saoudien de l’Intérieur confirme l’affaire à l’AFP, ajoutant que «le tribunal avait rendu sa décision et elle est définitive». 

Reste l’espoir suivant: la grâce royale. Celle que sa soeur Samar, militante féministe elle aussi injustement emprisonnée, n’a pu réussir à obtenir depuis une libération datant de l’an dernier. Idem pour Nassima al-Sadah, sa codétenue. Re-idem pour Loujain al-Hathloul et combien d’autres, coincé.es à tort dans le Royaume.

Espoirs mitigés, ainsi donc, entretenus par deux autoroutes du cynisme: le droit international de la personne, d’une part et, d’autre part, la dynamique géopolitique, fallacieusement masquée sous le vocable «relations diplomatiques». 

La première, pour rire: l’Arabie saoudite a ratifié, le 23 septembre 1997, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Balancer des coups de fouet, sauce Moyen-Âge, me semble, malgré ma bienheureuse inexpérience en la matière, contrevenir d’aplomb à la Convention en question. Où je m’en vais avec ça? Ici: penser faire brailler le régime en invoquant la barbarie d’une détention post-emprisonnement? Peine perdue. Et c’est le cas de le dire. 

La deuxième, plus optimiste: que le Canada et alliés objectifs réussissent à faire plier le Royaume à coups de clins d’œil, beaux sourires et génuflexions. Mais l’opération est périlleuse: après s’être inquiété en 2018 du sort de deux des militantes féministes discuté ci-avant, Ottawa s’est vu subir les foudres de Riyad. Celle-ci expulse alors, manu militari, l’ambassadeur canadien de son territoire, et gèle ses relations commerciales avec le pays. Au royaume des sauvages, les muets sont rois, faut croire. 

Est-ce à dire que les chances de convaincre le régime sont chimériques? Non. Mais loin de la coupe aux lèvres, disons. Surtout qu’il est question du deuxième marché d’exportation du Canada dans la région, et que le régime constitue l’un des plus grands exportateurs mondiaux de… pétrole.

Une perle, d’ailleurs, récupérée sur le site du gouvernement fédéral: «Les intérêts commerciaux et économiques demeurent au premier plan des relations bilatérales du Canada avec l’Arabie saoudite.»

Money talks, avant toute chose, même les droits humains? D’aucuns aimeraient croire le contraire, moi le premier, mais le mépris de l’Histoire revêt ses limites intrinsèques. 

Au-delà du cynisme, cela dit, demeure un devoir d’espoir. Pour Badawi, bien entendu, mais aussi pour Ensaf Haidar, sa résiliente et opiniâtre conjointe, et leurs enfants. 

Une lutte à finir, donc, avant le vrai party. 

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