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Existe-t-il une gastronomie québécoise?

Métro, en collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde, poursuit sa rubrique «Le Québec en questions». Chaque lundi, on vous invite à participer à une discussion autour d’un thème précis. Dans le journal, trois personnalités et des jeunes ont entamé le débat. Sur le web, il se prolonge avec leurs réponses complètes et vos réactions.

Existe-t-il une gastronomie québécoise?

Quand on parle de gastronomie, on pense à la France, à l’Italie, à l’Espagne. Par réflexe, on regarde ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique ou en Asie. Au Québec, nous avons certes un éventail de plats traditionnels et typiquement d’ici, mais pas véritablement de restaurants gastronomiques qui les servent, bien que de plus en plus de chefs s’amusent à réinventer nos classiques.

Selon la définition du dic­tionnaire Hachette, la gas­tronomie est «l’art de la bonne chère, l’art de bien manger». À la lumière de cette définition, peut-on parler de gastronomie qué­bécoise? Nos ragoûts de bou­lettes, pâtés chinois, tourtières et autres plats traditionnels sont-ils dignes d’être nommés plats gastronomiques, au même titre qu’un boeuf bourguignon ou qu’un risotto primavera?

Souvent dénigrée ou carrément reléguée aux oubliettes, la cuisine grasse et bourrative d’autrefois a-t-elle sa place dans les grands restaurants? Le Guide du routard avait même qualifié la gastronomie québécoise de «vraie cuisine de bûcherons» il y a quelques années. Cette affirmation est-elle juste ou est-elle le reflet du passé? Notre cuisine a-t-elle su s’adapter au goût du jour et si oui, la mettons-nous suffisamment en valeur?

Une question de tradition?
Lors d’un débat organisé par la Chaire de tourisme Tran­sat de l’UQAM en 2008, le chef Paul Holder avait déploré cette honte qu’ont les Québécois par rapport à leur cuisine. «Les cuisines qui se distinguent ont une histoire et une tradition qu’elles entretiennent soigneusement», avait-il dit à l’époque.

Il est évident que nous avons des traditions culi­naires, nous n’avons qu’à regarder les tables de Noël pour nous en rendre com­pte. Le problème en est peut-être un de fierté? Pourquoi est-ce que ça a pris tant d’années avant que les Qué­bécois valorisent leurs traditions culinaires, les remettent au goût du jour? Force est de constater qu’on tient quelque chose depuis un peu plus d’une décennie. On sent un vent de fraîcheur envahir les cartes des restaurants et les étals du marché. Serait-ce notre gastronomie qui se réveille?

Trois personnalités se prononcent


Philippe de Vienne
Chasseur d’épices et propriétaire de La Dépense au marché Jean-Talon

«Pour moi la gastronomie c’est le plaisir de bien manger et non pas la recherche des plaisirs rares et compliqués. Dans ce sens, oui il y a toujours eu une gastronomie au Québec et je dirais même que les Québécois sont les fiers descendants des Gaulois, parce qu’on aime bien manger. La gastronomie québécoise est une gastronomie qui a toujours évolué. Le jour où les Français sont arrivés ici, la cuisine française s’est mêlée à la cuisine amérindienne et cette amour qu’on a pour le salé/sucré. Depuis, ça n’a jamais arrêté et notre cuisine en est une adaptative et qui absorbe bien les cuisines d’ailleurs tout en demeurant très liée à ses origines françaises.

La cuisine et la gastronomie sont l’expression de notre culture au même titre que le cinéma et la littérature. On est fière de ce qu’on fait et avec raison parce qu’on n’a jamais été aussi bon qu’on l’est aujourd’hui.

De nombreux magazines culinaires dans le monde cotent toujours Montréal dans le top 10 des destinations gastronomiques dans le monde. On ne s’en rend même pas compte, peut-être par humilité, mais Montréal est une grande destination gastronomique au même niveau que Paris, Singapour, Milan, Tokyo. Et Toronto n’a jamais fait partie de la liste!
en ce sens qu’elle est toujours très près de ses origines françaises. Elle n’a pas de complexe à préserver la pureté de la cuisine comme l’ont les Français par exemple. Elle évolue constamment, les ingrédients nouveaux sont très bien acceptés.

Les Amérindiens nous ont donné l’amour de mettre du sirop d’érable sur nos viandes alors que les Anglais nous ont donné l’amour des desserts et des plats épicés et les Italiens sont venus au XIXe siècle, ce qui nous a donné des plats d’inspiration italienne comme les spaghettis gratinés qui n’existent pas en Italie et qui sont délicieux. La nourriture, ce n’est pas une vache sacrée, ce n’est pas parce qu’un plat est simple qu’il n’est pas délicieux et que ce n’est pas de la gastronomie.

Elle demeure profondément française, mais ce n’est pas la cuisine française, c’est une cuisine profondément québécoise.»


Marie-Claude Lortie
Chroniqueuse et critique gastronomique au quotidien La Presse

«De plus en plus. Depuis quelques années, on voit une véritable recherche dans le domaine de la gastronomie qui se base et sur des produits et des ingrédients d’ici, sur des traditions d’ici. Je crois que Martin Picard du Pied de cochon a fait un travail exceptionnel, tout autant que Normand Laprise du Toqué!. Chacun à sa façon, ils ont montré ce qu’on pouvait faire avec ce qu’on a. Martin a plutôt travaillé avec les recettes traditionnelles et a essayé de montrer comment on peut amener nos techniques et nos plats familiaux plus loin, en raffinant les ingrédients et les techniques de cuisson.

La gastronomie québécoise est très jeune si on la compare aux gastronomies millénaires chinoises ou même européennes. Normand Laprise a fait un travail exceptionnel aussi parce qu’il a beaucoup développé les produits. C’est grâce à son travail au Toqué! qu’il a pu
permettre à certains agriculteurs et producteurs de développer des légumes et des viandes exceptionnels. Il a offert une vitrine à ces produits-là et il a montré comment on avait des produits excellents ici. En encourageant l’agriculture d’ici, il a parti la roue. Il a formé des chefs dans sa cuisine, qui, eux, ont ouvert des restaurants et sont allés vers d’autres producteurs. Les producteurs se sont donc multipliés, les gens ont eu envie de découvrir de
nouveaux produits ou de les remettre de l’avant.»


Jean Soulard
Chef exécutif au Château Frontenac

«Depuis une quinzaine d’années, il y a une belle synergie qui s’est installée entre les chefs et les artisans, c’est-à-dire les gens qui travaillent de leurs mains et qui s’occupent avec passion d’un produit. Cette synergie a provoqué ce qu’on a aujourd’hui dans nos cuisines et aussi dans nos marchés : des ingrédients québécois. À partir du moment où l’on a des ingrédients d’ici, on a une gastronomie québécoise. La gastronomie québécoise c’est aussi ce que nos grands-mères nous ont laissé, c’est un héritage, un héritage qui a été réinventé par les chefs québécois.

Est-ce que c’est une gastronomie qui est connue à travers le monde? Peut-être pas, pas assez, parce qu’on n’est pas une terre à ça. Par contre, les touristes et les Québécois qui se rendent dans nos restaurants peuvent voir cette évolution et ces produits qui sont au cÅ“ur de notre cuisine.

Je pense que la gastronomie québécoise est jeune, mais il ne faut pas oublier qu’il y a eu de grands chefs avant nous. On a parfois l’impression, ma génération et celle qui est après moi, que nous avons réinventé la gastronomie. La cuisine du terroir a repris du galon dernièrement, mais on mangeait très bien au XVIIIe siècle et on mangeait ce qu’il y avait derrière la maison. Nous n’avions pas nécessairement délaissé notre gastronomie, mais c’est une roue qui tourne. Elle n’était plus aussi prioritaire. Mais les vieux classiques de nos grands-mères, les plats mijotés et les tourtières sont là pour rester parce que ça correspond à notre culture, à nos hivers et à notre façon de penser en tant que français nord-américains.»

 

L’avis des jeunes

  • Sophia Kaméni
    23 ans, étudiante

«Oui, sans hésitation! Je crois que l’art culinaire québécois est à notre image : raffiné, chaleureux et sans prétention. Influencée notammement par la cuisine française traditionnelle, la nouvelle cuisine californienne et surtout, la cuisine du terroir, notre cuisine est riche et particulièrement diversifiée. C’est ce qui fait sa beauté. De plus, nos chefs ont une renommée internationale bien établie. Alors, ne soyons pas si modestes! La gastronomie québécoise ne se limite pas à la poutine et au ragoût de boulettes, et c’est tant mieux. Je vous invite à profiter de la période des fêtes pour découvrir nos plats régionaux traditionnels.»

  • Fimba Tankoano
    27 ans, chargé de projet au Service bénévole de l’Est de Montréal

«En arrivant au Québec, le plat qui m’a été présenté comme étant issu de la culture québécoise est la poutine. Pour ma part, je trouve que la cuisine québécoise est très diversifiée, à l’image de sa démographie. La cuisine québécoise est très influencée par les cuisines des autres peuples issus de l’immigration et ça, c’est une richesse. Pour moi, la cuisine québécoise c’est sa diversité!»

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