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Il y a 20 ans, la crise d'Oka éclatait

En 1990, le maire d’Oka, Jean Ouellet, avait com­me projet d’agrandir le golf municipal et de cons­truire des condos luxueux sur un terrain occupé par un ancien cimetière autochtone.

Pour contrecarrer le projet, la communauté mohawk de Ka­nesatake a décidé d’occuper la pinède convoitée et de dres­ser des barricades, qu’a ten­té de démanteler la Sûreté du Québec le 11 juillet lors d’une intervention ratée. Solidai­res de leurs frères d’Oka, des Warriors de Khanawake ont occupé le pont Mercier, qu’ils ont menacé de faire sau­ter. Ainsi a commencé la crise d’Oka.

«C’était une crise nationa­le, explique l’anthropologue et chargé de cours à l’UQAM, Pierre Trudel. C’était très particulier de voir l’usage d’armes à feu de façon organisée.» Le contexte politique de l’épo­que était aussi singulier, soutient de son côté l’auteur du livre Oka : Dernier alibi du Canada anglais, Robin Philpot. «L’accord du lac Meech venait d’être rejeté, raconte-t-il. Le Canada voulait se redonner une autorité morale par rapport au Québec.»

Les enjeux
Les enjeux de la crise d’Oka étaient multiples.  A priori, les Mohawks voulaient préserver leurs terres ancestrales, alors que la municipalité d’Oka voulait s’enrichir avec un projet immobilier ambitieux qui devait rehausser la valeur des maisons du secteur. Or, après le déclenchement de la crise, Québec était ouvert à faire quelques con­cessions afin que les barrica­des soient levées rapidement, par­ticulièrement celles érigées sur le pont Mercier qui obligeaient 70 000 automobilistes à faire de longs dé­tours. Ottawa n’était cependant pas prêt à accepter n’impor­te quelle entente.

«Le gouvernement fédéral avait plus de 1 000 réserves indiennes à gérer, mentionne M. Trudel. Il tenait observer certains principes parce que la façon avec laquelle il allait régler ce conflit aurait des impacts sur toutes les réserves.» En plus, il y avait la paix sociale à préserver. Le conflit avait déjà fait un mort -le caporal Marcel Lemay- lors de la première intervention de la SQ à Oka. L’exaspération grandissante de la population devant un conflit qui semblait s’éterniser et les tensions palpables dans chacun des camps auraient pu en tout temps faire dérailler le conflit.

Le premier ministre Robert Bourassa a dû se résoudre, un mois après le déclenchement de la crise, à faire appel à l’armée pour calmer les ardeurs, sans toutefois jamais donner l’ordre de charger. «Après coup, même des adversaires politiques de M. Bourassa ont réalisé qu’il avait eu raison de ne pas complètement céder aux pressions d’attaquer, rapporte Pierre Trudel. [Le ministre délégué aux Affaires Autochtones], John Ciaccia, a raconté qu’il devait modérer les ministres qui voulaient attaquer.»

Pas d’entente
Malgré les longues négociations, aucune entente n’a été ratifiée pour mettre fin au conflit. Les partis ont plutôt convenu de la levée des barricades. Le 29 août, l’armée a avancé sur le pont Mercier, où la barricade a été démantelée sans aucune résistance. Trois jours plus tard, elle a fait de même à Oka. Des résistants se sont réfugiés dans un centre de traitement pour toxicomanes, qu’ils ont occupé jusqu’au 26 septembre. Ils se sont finalement rendus de façon improvisée et désordonnée.

«Le Québec s’en est sorti sans trop d’effusion de sang, dit Robin Philpot. Ailleurs, il y aurait eu beaucoup plus de dégâts.» Au lendemain de la crise, qui a duré 78 jours, le gouvernement fédéral a acquis les terres revendiquées pour les Mohawks. Il a aussi mis sur pied la Commission d’enquête chargée d’étudier l’évolution des relations entre les peuples autochtones, qui a souligné la «nécessité d’une restructuration des relations entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada».

La crise a également entraîné une prise de conscience au Qué­bec, selon M. Philpot. Les Qué­bécois ont redécouvert l’exis­tence des Premières Nations. «Le dialogue doit toutefois être poursuivi, indique le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard. Lorsqu’il y a une manifestation quelconque du côté autochtone, on a le réflexe de se refermer sur soi-même et ce n’est pas la chose à faire.»

«Les moyens utilisés étaient inappropriés»
Une majorité d’autochtones jugent que les moyens utilisés par les Mohawks lors de la crise d’Oka pour contrecarrer le projet immobilier de la municipalité d’Oka étaient inadéquats, soutient le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard. «Si un consensus doit être dégagé [des événements de l’été 1990], c’est que les moyens utilisés à l’époque n’étaient pas appropriés», a-t-il affirmé en entrevue à Métro.

À la suite de la crise, aucun bilan officiel des événements n’a été dressé par les Premières Nations, mais beaucoup de discussions ont eu lieu et les points de vue, très nombreux ont divergé du tout au tout. Bien que des groupes autochtones soient toujours prêts à ériger des barricades – une est d’ailleurs dressée en ce moment à Schefferville – et à prendre les armes pour faire valoir leur point de vue, beaucoup ne veulent plus revivre une telle crise, selon M. Picard. «Mais il faut changer les choses si on ne veut plus que ça se reproduise», avise-t-il.

Malgré la création de commissions et la formulation de centaines de recommandations pour améliorer le sort des autochtones, la situation de ces derniers n’a guère changé. Les gouvernements font toujours la sourde oreille lorsque les Premières Nations leur font part de leurs revendications territoriales ou autres, estime le chef de l’Assemblée des Premières Nations. «Engagée dans des processus interminables, la communauté autochtone se retrouve encore trop souvent au pied du mur», dit-il.

Une deuxième crise?
Le promoteur immobilier La Financière Norfolk comptait commencer ce mois-ci à construire des maisons de luxe non loin du golf municipal, sur des terres revendiquées par les Mohawks de Kanesatake. Ceux-ci ont dit au promoteur qu’ils s’opposaient au projet immobilier. Aucun permis de construction n’a encore été demandé. Le maire d’Oka, Richard Lalonde, attend de voir les plans avant de se prononcer. 

Cette dispute territoriale pourrait-elle provoquer une deuxième crise? Selon les personnes interrogées, cela est très peu probable. Autant les gouvernements que les Mohawks ne veulent pas revivre un tel conflit. «Du côté autochtone, la crise a créé une certaine unité devant l’ennemi, mais elle a aussi entraîné des déchirements internes et de la violence», relate le professeur titulaire de l’Université de Montréal Pierre Trudel.

Robin Philpot n’y croit pas non plus. Selon lui, le contexte politique de l’époque – notamment en raison de l’échec du lac Meech – a contribué à exacerber le conflit. La donne est différente aujourd’hui. Toutefois, une deuxième crise est possible, avance M. Trudel. À Kanesatake, il existe toujours des tensions, selon lui, et les jeunes policiers manquent d’expérience pour les
apaiser. 

«Le Québec est raciste»
Pendant la crise d’Oka, le Québec a été taxé de racisme par le Canada anglais.

  • Des éditorialistes ont même comparé la Belle Province au Mississippi, État américain qui a été ségrégationniste pendant plusieurs décennies. 
  • Dans son livre Oka : Dernier alibi du Canada anglais, Robin Philpot tente de remettre les pendules à l’heure en ce qui concerne les Premières Nations. Selon des données datant de 1990, elles ont des meilleures conditions de vie au Québec qu’ailleurs au Canada, notamment en ce qui concerne la langue, le revenu familial et la justice. «Leur situation de­meure inacceptable au Québec, précise l’auteur, mais il y a des efforts pour les aider.»

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