VG: ex-soldats et villages nordiques mal desservis
OTTAWA – Ottawa refuse de reconnaître clairement que le programme destiné aux vétérans souffrant de problèmes de santé mentale et celui visant les communautés nordiques confrontées à la cherté des aliments ont du plomb dans l’aile, comme l’a conclu mardi le vérificateur général du Canada.
Dans son rapport automnal, Michael Ferguson a constaté de sérieuses lacunes dans la gestion de ces deux programmes fédéraux, qui touchent des enjeux valant souvent des reproches au gouvernement Harper.
Le vérificateur général souligne d’abord, dans le chapitre consacré au ministère des Anciens combattants, que le ministère ne parvient pas à faciliter l’accès «en temps opportun» à des services de santé mentale.
Une guerre de chiffres oppose le ministère aux vétérans à cet égard, fait-on remarquer dans le rapport.
«Nous avons constaté que, selon la perspective des vétérans, il fallait environ deux fois plus de temps que ne le prévoit la norme d’Anciens combattants Canada (32 semaines contre 16 semaines) pour que 80 pour cent des vétérans reçoivent une décision relative à l’admissibilité», est-il écrit.
Le vérificateur général pointe du doigt un processus de traitement des requêtes «long et complexe» pour expliquer les délais avec lesquels doivent composer les ex-militaires qui souhaitent se prévaloir du Programme de prestations d’invalidité.
Des «obstacles de longue date» souvent attribuables au ministère — la complexité du processus de demande, les retards dans l’obtention de dossiers médicaux, l’accès difficile à des spécialistes — empêchent les vétérans de recevoir des soins dans des délais raisonnables, précise-t-il.
Le problème est encore plus criant dans le cas des anciens soldats qui souhaitent contester une demande accueillie défavorablement par le ministère.
Selon les données colligées par le vérificateur général, entre avril 2006 et juin 2014, 128 des 843 anciens combattants qui l’ont fait ont dû patienter de trois à plus de sept ans avant de finalement recevoir une décision favorable.
En déplacement officiel en Italie, le ministre des Anciens combattants, Julian Fantino, n’était pas disponible pour réagir aux conclusions du rapport.
Son collègue à la Défense, Rob Nicholson, a continué à évoquer en point de presse un délai de quatre mois plutôt que de huit, plaidant par ailleurs que des progrès «considérables» avaient été réalisés au cours des dernières années.
Ni lui, ni l’ancien titulaire du ministère, Steven Blaney, n’ont voulu se prononcer sur les conséquences que pourraient avoir ces mois d’attente pour des anciens combattants qui souffrent de troubles mentaux.
Les partis d’opposition ont tour à tour fustigé le gouvernement Harper, l’accusant de ne pas remplir ses obligations à l’égard de ceux qui ont servi le Canada.
«Il n’y a aucun doute que nous avons affaire en ce moment à un gouvernement qui laisse tomber les vétérans», a déclaré le chef libéral Justin Trudeau en point de presse à l’issue de la période des questions.
Le Nouveau Parti démocratique a pour sa part établi un lien entre les impacts des délais et la récente vague de suicides chez les militaires.
«Dans certains cas, les délais atteignent huit mois. C’est beaucoup trop long selon le vérificateur, surtout quand on connaît l’ampleur de la vague de suicides qui touche les anciens combattants», a exposé la députée Megan Leslie aux Communes.
Les lacunes observées dans le rapport sont préoccupantes si l’on considère que la proportion de vétérans aux prises avec un trouble de santé mentale est passée de deux à 12 pour cent entre 2002 et 2014 — et le ministère s’attend à ce que ce taux augmente à mesure que les militaires qui ont servi en Afghanistan retournent à la vie civile.
Programme Nutrition Nord
Le vérificateur général ne s’est pas montré plus tendre à l’endroit du ministère des Affaires autochtones et de son programme Nutrition Nord Canada, qui vise à améliorer l’accessibilité d’aliments sains à prix abordable dans les collectivités nordiques isolées.
En plus de n’avoir pas établi l’admissibilité des communautés en fonction de leurs besoins, le ministère n’a pas vérifié si les détaillants transféraient l’intégralité des subventions gouvernementales aux consommateurs.
«Dans les ententes de contribution qu’il a signées avec les détaillants, le ministère n’a pas exigé l’information dont il aurait besoin pour faire cette vérification», est-il écrit dans le rapport.
Le ministère ignore donc à quel prix se vendent les produits en magasin, ce qui l’empêche de s’assurer que les consommateurs ont bel et bien pu jouir des subventions gouvernementales en faisant leur épicerie.
En conférence de presse, Michael Ferguson a dit ignorer si, parmi la quarantaine de détaillants avec lesquels Ottawa fait affaire, certains auraient pu profiter de cette brèche pour commettre des fraudes.
«Nous n’avons aucune indication de ce type de situation», a-t-il affirmé.
Le ministre des Affaires autochtones, Bernard Valcourt, a reconnu en point de presse que le gouvernement ne pouvait «affirmer clairement et sans l’ombre d’un doute» que «l’intégralité de la subvention a été remise aux consommateurs».
Mais «avec l’implantation des recommandations du vérificateur général, on devrait être en mesure de donner l’assurance aux gens du Nord qui bénéficient de ce programme qu’ils ont le bénéfice de tout le subside», a-t-il poursuivi.
Malgré ses défauts, le programme doté d’un budget de 60 millions $ a permis à la clientèle ciblée d’économiser: le coût du panier d’épicerie a chuté de 110 $ par mois pour une famille de quatre personnes, a suggéré le ministre.
Un extrait du rapport produit par le vérificateur général vient cependant nuancer l’information fournie par M. Valcourt.
«Notre examen des rapports mensuels sur le prix des aliments et du Panier de provisions nordique révisé nous a permis de constater que ces deux indices ne contenaient que de l’information sur le prix des aliments. Ils ne donnent pas l’information qui permettrait de déterminer si la contribution a été entièrement transférée aux consommateurs», est-il écrit dans le document.
L’opposition officielle, qui avait interpellé le vérificateur général afin de lui demander de se pencher sur la question, est d’avis que les consommateurs ne font pas vraiment d’économies en arrivant à la caisse avec leurs aliments santé.
En conférence de presse, le député néo-démocrate Romeo Saganash a accusé le gouvernement d’être «incapable» de déterminer si les subventions «atteignent les objectifs voulus».
Son collègue Dennis Bevington, qui était à ses côtés, en a rajouté une couche. «Le gouvernement devrait avoir honte de sa gestion du programme. Il n’a pas fait le travail», a-t-il martelé.
En Chambre, la députée libérale Yvonne Jones a affirmé que Nutrition Nord «profitait à d’autres» qu’aux familles des communautés septentrionales.