«Le stigmate de la pute»: pire obstacle à surmonter pour sortir de l’industrie
Lorsque le patron de Cheryl a découvert qu’elle avait déjà travaillé dans l’industrie du sexe, il a lancé à la blague que l’employée de 38 ans avait une plaque sur son bureau portant l’inscription “relations publiques”.
Kayla, âgée de 61 ans, venait de décrocher un nouvel emploi lorsqu’un policier a informé l’un de ses collègues qu’elle était une ancienne “prostituée et toxicomane”. Elle a été congédiée et n’a eu d’autre choix que de retourner à la prostitution.
Les deux femmes ont été confrontées à ce traitement dégradant lorsqu’elles ont tenté de quitter l’industrie pour de nouvelles occupations, un obstacle qu’une étude récemment publiée a baptisé “le stigmate de la pute”. Cheryl et Kayla font partie des 22 travailleuses du sexe de la région de Vancouver interviewées dans le cadre d’un article évalué par les pairs paru dans la “Revue canadienne de sociologie”.
Les participantes, dont les noms ont été changés afin de protéger leur identité, ont rapporté plusieurs problèmes allant des insultes à la violence, décrivant le stigmate auquel elles doivent faire face comme la barrière la plus difficile à franchir pour abandonner le commerce du sexe, a déclaré la chercheuse Raven Bowen, qui a étudié en criminologie à l’Université Simon Fraser à Burnaby, en Colombie-Britannique.
“C’est comme s’il n’y avait aucun moyen d’y échapper”, a commenté Mme Bowen, dont l’étude a été publiée en novembre.
“Les travailleuses du sexe s’attendent à ce genre de discours haineux et de rage de la part des prédateurs. Mais elles ne s’attendent pas nécessairement à cela de la part d’un collègue de travail cinq ans après qu’elles ont quitté l’industrie.”
Âgées de 20 à 61 ans, les femmes ayant pris part à l’étude ne travaillaient plus comme prostituées ou menaient une “double vie” en s’assurant que l’une et l’autre demeuraient bien séparées. Aucune n’avait fait la rue.
Raven Bowen a recueilli leur témoignage en 2012 après que la Cour supérieure de l’Ontario eut invalidé d’importantes lois relatives à la prostitution. À l’époque, les militantes se préparaient à poursuivre la bataille devant le plus haut tribunal du pays, qui a finalement tranché en leur faveur.
La Cour suprême du Canada a en effet décrété en 2013 que le Parlement pouvait réglementer le commerce du sexe, mais pas aux dépens de la sécurité et de la vie des travailleuses.
L’ancien gouvernement conservateur a réagi un an plus tard avec le projet de loi C-36, qui interdisait toutefois l’achat de services sexuels.
Les militantes ont fait valoir que la nouvelle loi rendait l’industrie encore plus dangereuse pour les prostituées et que le fonds de transition de 20 millions $ créé par le gouvernement n’était pas suffisant et soumis à un trop grand nombre de restrictions.
Faire la transition entre l’industrie du sexe et le marché du travail, c’est comme passer de la musique jazz à la dentisterie, a affirmé Mme Bowen. La chercheuse compte parmi ceux qui réclament que le gouvernement désigne la violence contre les travailleuses du sexe comme étant un crime haineux et qui recommandent davantage d’investissements dans les programmes de transition fondés sur des données probantes.
“Malheureusement, cela doit commencer par la loi et la société suivra plus tard”, estime Raven Bowen.