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Avoir son voyage

Frédéric Bérard

Aux suites d’un automne trop chargé à mon goût, je souhaitais décoller au Costa Rica cet hiver, cette fois dans une petite bicoque perdue, isolée de l’humain. Histoire (d’enfin) finaliser les manuscrits que mes éditeurs n’attendent plus. Un bon trois mois, paix ambiante, soleil en prime. Je reviendrais, me disais-je, fin mars, le vaccin ayant fait alors partiellement son œuvre. Seul dans une cabane pré-choisie, pas de danger, donc. En plus, c’est légal. Faque.

Il y a 2-3 semaines, lors d’un bon matin de radio au 104.7 FM, le complice Trudel me demande:

-Toi Fred, qui voyage souvent, as-tu idée de faire comme la gang qui se fiche de la pandémie et partir à ton tour?

Le salaud. J’ai eu honte.

En l’espace d’une seconde ou deux, le paysage du contexte actuel, jusqu’alors brouillé dans une irrépressible envie de crisser le camp, me saute en pleine face.

-Euh… je pensais le faire. Mais non. Pas une bonne idée, finalement.

Même si c’est permis. Même si la solitude envisagée limite au maximum les risques de contagion. Même si au retour, je me sauverais de nouveau vers les bois.

Parce que le volet «légal» de l’affaire repose sur un seul socle: celui de pimper les industries du tourisme et de l’aviation, mises à mal depuis mars dernier. Rien à voir avec quelconque considération de santé publique. Même logique que celle des musées fermés alors que les galeries d’art, où il est loisible d’acheter un tableau, demeurent ouvertes.

Parce que si l’on arrête de se raconter des pipes, oui, les risques sont drôlement plus importants que si l’on demeure bien sagement ici, au Québec, sur son cul.

Parce que l’on aura des taxis à prendre, des avions et, pour les adeptes de tout-inclus, des buffets et autres piscines débordantes de Budweiser. Sans compter, bien entendu, le symbolique Jean-Guy te postillonnant dans face en voulant tenir une convo dépourvue d’intérêts. Genre te convaincre que la pandémie est, malgré le décès de sa mère de la COVID, au moins une exagération, sinon une invention.

Parce que pire: la grande majorité des moineaux refuseront de s’isoler au retour, contaminant, en toutes probabilités, les bons soldats d’Arruda.

Au moment d’écrire ces lignes, le député Pierre Arcand, ex-ministre et chef intérimaire du PLQ, vient tout juste d’être aperçu sur les plages d’un paradis fiscal. Il regrette sa décision, dit-il. Arrête de niaiser, Pierre. Tu ne regrettes pas d’être parti. Seulement de t’être fait pogner. Pas pareil.

Depuis le début de la pandémie, un aphorisme me revient constamment à l’esprit: celle-ci constitue, essentiellement, un test de quotient intellectuel. Force est de constater qu’elle évalue également les jalons de l’empathie, de la discipline et de la solidarité. Des résultats dont même Jean-François Roberge aurait honte, ce qui veut tout dire.

Combien suis-je déçu, et c’est un euphémisme, de ma nation. En espérant ainsi qu’aucun pays, ne serait-ce que le Tuvalu, le Liechtenstein ou même le Vatican, ne nous déclarent jamais la guerre. Parce qu’à nous voir collectivement incapables de serrer les coudes face à l’évidence, probable alors qu’on en mange une sale. Avec ou sans masque.

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