Doit-on espérer de Netflix qu’il sauve le cinéma?
J’avais une réflexion cette fin de semaine en fouinant mes suggestions sur Netflix, comme d’habitude quand les lumières sont tamisées le soir à la maison, à propos du cinéma et de sa place sur la plateforme.
Le dernier film d’Orson Welles, plus de 30 ans après son décès, a été complété et déversé sur Netflix avec un documentaire d’accompagnement. The Other Side of the Wind, comme un film testament d’un grand cinéaste et, pour le service de diffusion, une occasion de remettre en ligne des classiques comme Touch of Evil (que je vous recommande chaudement).
Je n’ai pas encore visionné ce dernier film de Welles, choisissant plutôt un autre visionnement d’une sitcom que je connais par cœur – ça aussi, comme d’habitude devant Netflix. J’ai cependant hâte de voir ce film de Welles même si une importante partie de moi appréhende le tout parce que j’ai une grande histoire d’amour avec les salles de cinéma qui, avec la puissance des Netflix de ce monde, entre autres, sont sur le respirateur artificiel.
C’est que la relation de Netflix avec le cinéma va bien au-delà de ce film-Frankenstein d’un cinéaste légendaire. Il y a des événements cinématographiques maintenant sur Netflix, qu’on pense au dernier western des frères Coen ou encore à la distribution controversée du Roma d’Alfonso Cuarón, qui a été boudé par certains festivals en raison de son absence des salles de cinéma.
Netflix, dans son approche un peu cannibale, veut absorber les films comme il l’a fait avec les séries télé et offrir à ses plus de 100 millions d’abonnés une gamme de contenus aussi vaste que l’imagination. Un film, pour Netflix, c’est un URL associé à un contenu consommé par un nombre d’usagers, comme une heure d’humour d’un stand-up ou une série télé du nord de l’Europe. On peut parler d’une démocratisation de l’offre, en étant optimiste, mais aussi d’une suffocation de l’artiste devant cette abondance avec laquelle il est impossible de se battre.
D’un autre côté, être en amour avec les grandes salles de cinéma et leurs projections numériques froides et impersonnelles est un vœu pieux. Les fervents de l’écran d’argent ont connu les petites salles, les pellicules abimées, les odeurs mélangées et le tapis usé par les souliers agités. J’en suis, et fréquenter les petites salles comme le Cinéma du Parc à Montréal demeure un rituel que j’affectionne énormément – même si ma consommation cinématographique se fait essentiellement à la maison.
Est-ce hypocrite, donc, d’espérer la pérennité des salles désertées par la relève cinéphilique tout en consommant Netflix quotidiennement? Oui et non, parce que j’ose encore croire qu’un n’exclut pas l’autre.
Je m’explique.
Netflix offre tout à un clic. C’est la grande surface accessible, le point commun d’une génération, l’équivalent d’une chaîne généraliste pour nos parents. La Petite Vie, si elle devait se reproduire en 2018, serait sur une plateforme comme Netflix et la viralité serait dans nos téléphones intelligents et non autour des machines à café des bureaux de la province. La salle de cinéma, en comparaison, c’est une sortie, un événement, une rencontre sociale, un rendez-vous galant, etc. Le film à lui seul n’est plus suffisant puisqu’il est disponible partout, tout le temps. Il faut redonner de la noblesse aux salles, quitte à ramener l’aspect théâtral des grands lieux comme l’était le Rialto ou l’Impérial à une époque. Un film par soir, quelques représentations et c’est tout. Piquer une page du plan de match de l’industrie musicale qui a remis au goût du jour le vinyle pourtant mort et enterré avec l’explosion du CD durant les années 90.
Netflix ne sauvera pas le cinéma, puisque le cinéma existe et existera malgré les efforts de distribution du géant numérique. Ceci dit, Netflix pourrait donner un grand coup de main aux films en les plaçant devant des spectateurs curieux de voir. On le sait, les films marquants sont souvent ceux qui nous prennent par surprise. Avant, on tombait dessus à la télé sans trop savoir ce que la grille allait nous offrir. Maintenant, une bande-annonce accrocheuse peut changer notre vie sur la plateforme.
Ce sont les mêmes syndromes d’une belle maladie qu’est la cinéphilie, mais les lieux changent. Comme les gens, les époques et, ultimement, les films.
Je ne sais pas trop où je voulais en venir avec cette réflexion, sinon que j’ai de la difficulté avec les radicaux qui espèrent qu’on boude Netflix afin de sauver le cinéma de cette grande menace. Oui, les choses sont résolument différentes, pas forcément pour le mieux, mais de là à dire que le cinéma se meurt, il y a un pas à franchir. Le septième art a survécu a de bien plus grandes contraintes que Netflix, Parlez-en à Abbas Kiarostami, par exemple, et à ses compagnons de la nouvelle vague iranienne.