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La grande noirceur: Au cœur des ténèbres

Avec La grande noirceur, son quatrième long métrage, le réalisateur Maxime Giroux plonge dans les abysses d’un monde sans pitié qui récompense les forts et broie les faibles. Un regard en clair-obscur sur une Amérique imaginaire, mais qui a beaucoup à voir avec notre monde actuel.

En fuite aux États-Unis pour échapper à la conscription en temps de guerre mondiale, Philippe (Martin Dubreuil) survit en participant à des concours d’imitation de Charlie Chaplin.

Alors qu’il tente de retourner chez lui, le petit Québécois au chapeau melon tombe entre les griffes de personnages au bord de la folie, prêts à tout pour arriver à leurs fins.

Dans un univers hors du temps qui évoque le réalisme magique (ou plutôt le réalisme cauchemardesque, étant donné les horreurs qu’il traverse), il découvre la laideur du monde dans les magnifiques déserts de l’Ouest américain.

Comment décrire ce film, unique dans la cinématographie québécoise récente? Fable, allégorie, odyssée?

«C’est un film très métaphorique, très expressionniste, croit Martin Dubreuil, qui collabore à nouveau avec son ami Maxime Giroux après Félix et Meira (2014). Il y a toutes sortes d’adjectifs qui s’appliquent à ce film-là, ce n’est simplement pas un film conventionnel. C’est un film qui est angoissant, qui peut être étouffant pour certaines personnes, mais qui en même temps respire la liberté de création.»

« J’ai moi-même beaucoup de difficulté à le catégoriser, admet de son côté Maxime Giroux. Et je pense que c’est une qualité. Je l’ai découvert au cours du tournage, je le découvre encore aujourd’hui, en le revoyant ou quand les gens m’en parlent.»

«C’est l’expression très personnelle de ma vision du monde d’aujourd’hui, précise-t-il. Bien sûr, c’est grossi, c’est amplifié. Mais ça peut aussi être ça, le cinéma. Ça n’a pas à être subtil. J’avais envie de faire quelque chose de grossier et de pas subtil. Et j’avais le sujet pour le faire : le capitalisme américain. Il est grossier et indécent, alors ça me permet d’être grossier et indécent.»

«Je revendique le droit de faire une œuvre sombre. Il y a des peintres qui ont fait des peintures horrifiques, mais magnifiques. On a le droit de faire ça au cinéma aussi. Ce n’est pas seulement un art de bons sentiments où on veut réconforter le spectateur.» – Maxime Giroux, réalisateur de La grande noirceur

On pourrait l’appeler le système avec un grand S. Cette force invisible qui régit nos existences selon des règles impitoyables : profit, productivité, rentabilité.

Les mêmes principes qui animent les personnages plus grands que nature rencontrés dans son errance par Philippe.

En premier lieu, le terrifiant trafiquant interprété par le Français Romain Duris, capable de vendre homme, femme ou enfant à condition que ses clients y mettent le prix.

«Ce pays me permet de faire tout ce que je veux. Il me donne tout, il me rend tout. Il me permet de renaître. Il fait de moi son fils glorieux, violent et fort, clame-t-il dans un monologue effrayant. Il n’y a pas de limites, pas de retenue, pas de scrupules. Si je veux quelque chose de toi, je n’ai qu’à le prendre. Ma volonté est toute puissante.»

«C’est exactement ce que le système capitaliste fait: il prend tout et, une fois qu’il a tout pris, il s’en va, constate le cinéaste, qui a écrit le scénario de La grande noirceur avec ses complices Simon Beaulieu et Alexandre Laferrière. Bodie, où on a tourné une partie des scènes, était la ville la plus riche au monde lors de la ruée vers l’or. Mais quand ils ont fini d’exploiter la mine, ils sont partis du jour au lendemain et c’est devenu un village fantôme.»

Maxime Giroux /Josie Desmarais

«Le film est aussi né d’un désir de filmer ses lieux, sans les changer. Pour se rappeler que tout ce qu’on a, c’est très éphémère si on n’en prend pas soin. Si on se base sur la seule idée de faire de l’argent rapidement, eh bien, rapidement aussi l’argent va s’en aller.» – Maxime Giroux

Et dans ces lieux hostiles, filmés avec grand talent par la directrice photo Sasha Mishara, il y a un Québécois déguisé en Charlot, un peu perdu, qui encaisse sans broncher.

«J’ai fait confiance à ma capacité de rouler avec les coups, blague Martin Dubreuil, qui a dû lutter contre les éléments, le froid et la neige en particulier, lors du tournage en Californie et au Nevada. Philippe est dans la candeur. J’avais seulement à écouter ma propre bonté intérieure, ma sensibilité pour composer le personnage.»

Un personnage qui subit beaucoup plus qu’il agit.

«C’est une représentation du Québec, qui subit énormément. On ne se défend pas beaucoup, et lorsqu’on le fait, on se le fait reprocher», tranche Maxime Giroux.

«Philippe va aux États-Unis imiter Chaplin, un peu comme Céline Dion va à Las Vegas imiter les Américains en chantant “american”. Et nous, on est bien fiers de ça. Moi, personnellement, je ne vois pas l’intérêt d’imiter cette culture basée sur l’argent.»

«Il est perdu, un peu à l’image de ce que je pense être le Québec en ce moment. On rejette tout ce qui est profondément québécois et on embrasse à tout prix tout ce qui est international, même si ce n’est pas intéressant, dont la culture de l’argent, la culture de l’entertainment, insipide et vide.»

Un propos sombre que tempère Martin Dubreuil.

«À l’image du personnage, j’ai un côté candide qui me fait croire qu’il retourne peut-être chez lui avec un bagage d’expériences, explique l’acteur, qui obtient un deuxième premier rôle de suite au cinéma après celui du poète Yves Boisvert dans À tous ceux qui ne me lisent pas. Je ne pense pas qu’il va avoir été pourri, ou transformé négativement. Il ramène de l’information à sa patrie, il ramène des nouvelles inquiétantes pour l’aider à se préparer à ce qui s’en vient.»

La grande noirceur
En salle

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