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Buffy Sainte-Marie élève la voix

Buffy Sainte-Marie montera sur la scène du Théâtre Corona ce samedi soir. Photo: Matt Barnes/Collaboration spéciale Photo:

Dix ans déjà que Buffy Sainte-Marie, pionnière du folk canadien, n’est pas montée sur scène à Montréal. «Ça fait si longtemps? Ça fait trop longtemps!», s’exclame-t-elle de sa voix rieuse. Elle remédie à la situation ce samedi, l’occasion parfaite pour (re)découvrir le riche parcours de cette artiste incontournable.

Son nom n’est pas connu de tous, à tort. Mais si on vous chante «Love lift us up where we belooong», ça sonne une cloche? (Désolée de vous l’avoir coincée en tête pour la journée!)

En écrivant cette chanson pour le film Officier et Gentleman, Buffy Sainte-Marie est devenue la première Autochtone à remporter un Oscar, en 1983.

Au-delà de cet exploit, l’artiste d’origine crie a notamment composé et interprété l’hymne pacifiste des années 1960 Universal Soldier, la ballade Until It’s Time For You to Go, chantée par nul autre qu’Elvis Presley, ainsi que la puissante Cod’ine, reprise entre autres par Janis Joplin et Courtney Love.

En plus de 50 ans de carrière, l’infatigable et souriante chanteuse – on entend le sourire dans sa voix au bout du fil – a non seulement été une figure musicale phare du Canada, mais elle a aussi été l’une des premières artistes à sensibiliser la population aux réalités des peuples autochtones, notamment dans les segments éducatifs qu’elle a animés dans l’émission Sesame Street durant les années 1970.

Qu’est-ce qui a occupé Buffy Sainte-Marie depuis son dernier spectacle dans la métropole? «J’ai sorti plusieurs albums… Gosh! Montréal ne m’a pas vue avec le groupe qui m’accompagne présentement en tournée, trois excellents musiciens que j’adore.»

Elle a également remporté le prix Polaris en 2015 pour son album Power in The Blood. «J’ai été chanceuse avec celui-là, merci beaucoup! Ça vient avec un chèque, mais je n’en ai pas vu un rond, tout est passé dans les frais de tournée!» lance-t-elle dans un grand éclat de rire.

Parlant du Polaris, on ne peut s’empêcher de lui demander ce qu’elle a pensé du discours de remerciement du plus récent lauréat, le ténor malécite Jeremy Dutcher, qui a parlé de la renaissance artistique autochtone en cours au pays. Après tout, on pourrait dire qu’elle en a été la précurseure dans les années 1960.

«La colère ne devrait pas être réprimée, mais plutôt servir de moteur. Il faut d’abord la laisser retomber et sécher avant de pouvoir en faire de l’art, du sens ou un apprentissage.» -Buffy Sainte-Marie

«Je ne sais pas si j’ai amorcé une renaissance, mais j’ai pendant longtemps été la seule, donc on peut dire que j’ai pavé la voie. À l’époque, le public n’était pas du tout au courant des enjeux qui touchent les communautés», dit-elle, citant en exemple la fois où elle a convaincu la production américaine de The Virginians d’engager uniquement des comédiens autochtones pour jouer des personnages autochtones, en 1968.

«Parfois, quand on jette les bases de quelque chose qui, 50 ans plus tard, est nommé une “renaissance”, on se dit que ça prend du temps!» laisse-t-elle ensuite tomber en riant.

Lui arrive-t-il parfois de se dire «enfin!» en constatant certains progrès récents? «On avance un peu. Pour moi, c’est une question de direction : tant qu’on continue à aller dans le bon sens. Mais je ne me dis pas “enfin!”, parce que les Canadiens en ont encore beaucoup à apprendre. Vous savez maintenant pour les pensionnats, mais vous ne connaissez pas l’histoire de l’esclavage des peuples autochtones. Voilà un livre qui n’a pas encore été écrit, pas même par les universitaires!»

Bien qu’artiste d’abord et avant tout – l’art lui a sauvé la vie, dit-elle –, Buffy Sainte-Marie s’est retrouvée par la force des choses à être activiste à temps plein.

«Il s’agit surtout de saisir l’occasion de parler quand on peut le faire, relativise-t-elle. Certaines de mes chansons parlent d’enjeux internationaux, comme Universal Soldier, qui est toujours d’actualité bien que je l’ai écrite il y a 50 ans. Certaines abordent plus spécifiquement les réalités autochtones, comme Bury My Heart at Wounded Knee ou Starwalker, et d’autres n’ont absolument rien à voir avec les dénonciations; ce sont des chansons d’amour! Ce sont elles qui m’ont permis de gagner ma vie dans cette industrie!» rappelle-t-elle.

Des chansons pour guérir
À 77 ans, Buffy Sainte-Marie n’est pas prête à s’arrêter. Elle a fait paraître l’an dernier Medicine Songs, une collection de chansons «qui ont une signification particulière» pour elle,

parmi lesquelles se trouvent certains de ses succès revisités ainsi que des collaborations avec de jeunes musiciens autochtones, dont Tanya Tagaq et A Tribe Called Red.

«On y trouve des chansons encourageantes comme You’ve Got To Run et Carry It On, mais aussi l’inverse : des chansons dénonciatrices (protest songs)», résume-t-elle.

Dans cette deuxième catégorie, il y a la poignante My Country ‘Tis Of Thy People You’re Dying, chanson-fleuve énumérant la longue liste de sévices dont ont été victimes les différents peuples autochtones au Canada. Des décennies avant le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, Buffy Sainte-Marie y employait le terme «génocide» pour décrire le traitement réservé à ses confrères et consœurs.

Pourquoi reprendre cette chanson aujourd’hui? «À l’époque, les gens n’étaient pas prêts à l’entendre, dit-elle. Elle est très forte, elle est longue. Ce n’est pas le genre de chanson qui joue à la radio. Je l’ai faite dans un but éducatif. Des profs me demandaient de leur apprendre “l’Indien 101”, alors j’ai tenté de décrire l’histoire à ceux qui voulaient vraiment l’entendre.»

À l’autre bout du spectre, parmi ses compositions qu’elle qualifie d’«encourageantes», Carry It On demeure sa favorite. «C’est une chanson positive, forte, chargée d’espoir, avec un superbe message. Elle fait du bien à d’autres, mais elle me fait du bien à moi aussi! Comme auteure-compositrice-interprète, je me sens très chanceuse quand, une fois de temps en temps, une chanson me rend aussi heureuse.»

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