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How Black Mothers Say I Love You: Le chant du pardon

Photo: Josie Desmarais/Métro

Daphne quitte la Jamaïque et ses filles pour Brooklyn, où elle espère leur bâtir un avenir meilleur. Dix-huit ans plus tard, leur réunion teintée de souffrance longtemps enfouie est portée à la scène par le Black Theatre Workshop.

Plus ancienne compagnie issue de la communauté noire au pays, le Théâtre BTW adapte pour sa 48e saison la pièce How Black Mothers Say I Love You, de Trey Anthony. Chargées d’émotions, les retrouvailles entre Daphne et ses enfants ont pour trame de fond l’histoire douloureuse de l’immigration. «On parle beaucoup des migrants, au lieu de parler avec eux», nuance la metteuse en scène Tamara Brown.

Dès les premières scènes, le dialogue déborde de franchise, au même moment où la goutte déborde du vase familial. «Claudette [la fille de Daphne] nourrit beaucoup de ressentiment et a d’autres questions irrésolues par rapport à l’abandon de sa mère et au sacrifice que celle-ci a fait. C’est une de ces familles qui s’aiment beaucoup, mais qui ont de la difficulté à s’exprimer, et je crois que beaucoup de spectateurs vont s’identifier à elle», croit la comédienne Dayane K. Ntibarikure, qui campe le rôle de Claudette.

Les générations entrent également en collision. L’anglais canadien de la fille – qui est partie adulte à Montréal et qui rend visite à sa mère à Brooklyn – fait ressortir le fort accent jamaïcain de la mère. «Daphne est très vieux jeu. Elle veut que les choses demeurent comme elles sont, mais tout est évidemment différent. Elle est pieuse et fréquente l’église de son quartier, mais ses filles ne suivent pas vraiment ses traces», indique la comédienne Andrea Davis, qui campe de la matriarche.

«Ma famille est jamaïcaine, et je vois beaucoup de mères vivre la même chose que mon personnage là-bas. Elles s’installent en Amérique du Nord ou en Europe, trouvent du travail et envoient de l’argent à la maison dès qu’elles le peuvent jusqu’à ce qu’elles puissent légalement faire venir leur famille. Souvent, la mère qui est partie a fondé une autre famille et cela crée des frictions entre les deux vécus.» – Andrea Davis, comédienne

À cette équation explosive s’ajoute l’éléphant dans la pièce : l’homosexualité de Claudette. La jeune femme s’éprend en même temps d’une Mont­réalaise et de sa ville. «Claudette a déménagé à Montréal où elle a trouvé l’amour. C’est là qu’elle vit sa vérité et qu’elle peut vivre pleinement grâce à l’esprit de joie, de culture et d’acceptation de la différence qui caractérise la métropole», se réjouit Tamara Brown.

Pour la femme de théâtre, la réconciliation du clan ne représente pas nécessairement une fin en soi. «La pièce jette un regard franc sur nos forces et nos faiblesses en tant que famille, peuple et société. La dramaturge a entrevu une blessure cachée dans sa communauté et la met en lumière. Pas question de cacher les failles de la façade. On confronte les secrets, la honte et les erreurs pour mieux guérir. Est-ce que tout est résolu à la fin? Pas forcément, mais personne ne détient non plus cette garantie dans la vie.» 

La musique de l’exil

Inquiète pour Claudette, Daphne broie ses soucis dans un mortier au son du reggae. Plus tard, le quatuor de comédiennes chante à tue-tête, les oreilles pleines du gospel entendu à la messe du dimanche. «La musique est très importante pour la communauté noire. Du classique au jazz, en passant par le blues, les styles sont tous intimement liés à notre histoire», observe Andrea Davis.

«Les chansons parlent du voyage dans le temps et l’espace», ajoute Tamara Brown, dont enfance a été bercée par les rythmes antillais,

«En Amérique, nos ancêtres ont tous voyagé outre-mer. La musique sert ici à mettre en place le contexte culturel pour mieux éprouver l’histoire. Et après tout, si la politique et la religion ne sont pas votre tasse de thé, la musique et l’amour font du bien à tout le monde!»

En parlant du loup, la distance entre le théâtre anglophone et francophone à Montréal n’inquiète pas la metteuse en scène outre mesure : «Cette tension donne à Montréal une vitalité qui ne se trouve nulle part ailleurs. Le débat sur le plan de la langue est honnête, et je crois qu’il explique pourquoi l’art québécois voyage si bien. En fait, c’est peut-être une bonne chose d’être inconfortable!»

Selon elle, le récit pourrait aussi bien s’appeler How Mothers Say I Love You, «car nos mères agissent toutes de la même façon, peu importe l’ethnicité. On parle beaucoup ces temps-ci de représentation et de diversité, mais au-delà de ces enjeux existent les êtres humains, et c’est un lien évident qu’on oublie facilement. Ce sont ces détails intimes qui nous rassemblent dans l’expérience humaine. Même s’il ne voit pas sa réalité sur scène, le spectateur est capable de reconnaître la vérité qui s’en dégage.»

How Black Mothers Say I Love You
Au Théâtre Centaur à partir de ce soir et jusqu’au 16 mars

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