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Marie-Andrée Gill, sacraliser la beauté du quotidien

Marie-Andrée Gill Photo: Sophie Gagnon-Bergeron/Collaboration spéciale
Marie-Lise Rousseau - Métro

En recourant à des références au baloney, à une quincaillerie ou encore à des brassées de lavage pour évoquer une peine d’amour, Marie-Andrée Gill rend hommage à des éléments du quotidien en apparence banals, mais desquels émane une grande beauté dans son troisième recueil de poésie, Chauffer le dehors.

Qui, après une séparation douloureuse, n’a jamais craint de croiser son ex au dépanneur, ou encore n’a pus se retenir de pleurer toutes les larmes de son corps en entendant une chanson d’amour à l’épicerie?

Avec sa plume d’une honnêteté désarmante, la jeune Saguenéenne crée des images universelles, comme le thème de ce recueil, qui dépeint une rupture amoureuse en quatre temps.

La poésie de Marie-Andrée Gill touche droit au cœur par la justesse de ses mots et son franc-parler. «Tranquillement, mon style se confirme. L’oralité a toujours été importante, mais là on dirait que je l’assume encore plus», affirme la principale intéressée au sujet de son écriture.

Difficile de rester de marbre devant des vers comme: «Je sens se débattre nos pouls / Qui savent pas se sacrer patience» ou encore: «C’est une histoire d’amour comme toutes les autres / Un autobus écrit Spécial / Avec personne dedans».

En empruntant à la vie de tous les jours plutôt qu’en cherchant à être littéraire à tout prix, Marie-Andrée Gill souhaite que ce qu’elle écrit lui ressemble, tout simplement. «Si je vais chercher trop loin, ça va être dénaturé. J’ai envie de parler des arbres que je connais, des saisons que je connais. Pour faire des images, j’aime prendre des choses qui m’entourent», explique-t-elle au téléphone depuis son village au bord de la rivière Saguenay.

Ce qui l’entoure, ce sont le fjord, les épinettes, les flocons, parfois même un troupeau de bélugas. Ces éléments de la nature sont omniprésents dans Chauffer le dehors. «Pour moi, la relation au territoire est vraiment importante», explique la poète innue, originaire de la communauté de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean.

«J’ai vraiment écrit ce recueil dans l’urgence, dans le feu. C’était un passage obligé, parce que ça brûlait trop par en dedans.»Marie-Andrée Gill

Par souci d’authenticité, elle ne couche sur papier que ce qu’elle vit. «J’aime beaucoup parler de la nature, mais si je n’étais pas en train de faire un feu dans le bois, du ski de fond ou de grimper une montagne, je ne me sentirais pas légitime de l’écrire.»

La rupture amoureuse est un terreau fertile pour les artistes. On pourrait croire que tout a été dit à ce sujet, tant il a été traité sous toutes ses coutures. En l’abordant avec lumière et beaucoup d’humour, Marie-Andrée Gill lui donne un nouveau souffle.

Un exemple: «Toutes les tounes de Céline / Que je chante dans mon char / Apaisent mes rages de sucre / De toi».

Une façon de dédramatiser la peine d’amour? «Chanter et brailler sur du Céline, ça a l’air drôle quand on le dit, mais dans le moment où on est en train de le faire, ça peut être vraiment triste», observe l’artiste, qui rappelle que l’humour fait partie inhérente de la culture innue.

«C’est super important, c’est dans mes valeurs. Prendre du recul sur la situation et rire de moi, c’est quelque chose que j’ai toujours fait», dit-elle.

Macaroni aux saucisses
Autre élément incontournable de toute bonne rupture amoureuse: la nourriture réconfortante. Il y en a plusieurs mentions dans Chauffer le dehors, des «tomates-cerises qui explosent dans la bouche» à du «crème soda» en passant par des «biscuits de Ricardo à marde».

Marie-Andrée Gill s’étonne de ne pas avoir établi directement de parallèle entre son cœur brisé et ce champ lexical culinaire. «C’est vrai! C’est comme le cliché de la crème glacée dans les films, je n’y avais même pas pensé… Tsé, quand on repense à l’amour qui ne marche pas, les souvenirs sont souvent autour du quotidien, notamment de la bouffe. Ce sont ces petites choses qui restent et qui sont belles.»

On revient à ce quotidien magnifié en poèmes, comme en témoigne cet autre extrait: «J’aimerais troquer mon cœur / pour la simplicité d’un bon bol / de macaroni aux saucisses».

Indirectement, Chauffer le dehors se veut un hommage à la banalité. «Des fois, je me demande: “Je devrais-tu écrire là-dessus? Il me semble que c’est tellement banal.” Mais c’est exactement quand je me pose cette question que je suis à la bonne place. Parce que c’est là que je parle à plus de gens.»

Alors que la poésie souffre de la mauvaise réputation d’être un art difficile d’accès, voir élitiste, Marie-Andrée Gill a à cœur sa portée universelle. «Pour être universel et accessible, il faut vraiment être à l’écoute des petites choses, et ne pas nécessairement aller chercher de grands mots ou de grands concepts. Il faut rester proche de soi et de ce qu’on vit.»

Elle-même n’était pas familière avec cet univers… jusqu’à ce qu’un amour de jeunesse lui écrive des poèmes. «Ça m’avait surpris. Des poèmes, la première fois qu’on en lit, on ne comprend pas trop c’est quoi!»

Rapidement, en lisant Gaston Miron, des poètes surréalistes ou encore des livres publiés aux éditions de l’Écrou, elle a eu la piqûre. «J’ai eu accès assez vite à des imaginaires un peu trash, j’ai compris qu’on peut sacrer dans des poèmes», dit-elle.

Elle-même ne se gêne pas pour le faire dans Chauffer le dehors: «Crisse que ça gosse d’avoir été heureux de même», écrit-elle.

«En même temps, je suis influencée par Miron, qui est très ancré dans le territoire et qui a une douceur, une beauté brute», poursuit-elle.

Parmi ses inspirations, on trouve aussi la grande poète innue Joséphine Bacon, qu’elle cite en exergue de son recueil. Cette dernière voit en Marie-Andrée Gill sa successeure, rien de moins. «Ben oui, elle m’a déjà dit ça! Elle me dit vraiment de belles choses qui me font du bien, Joséphine.»

Son œuvre et ses encouragements ont également permis à la jeune artiste d’assumer sa place en tant qu’«icône de la poésie autochtone québécoise contemporaine», comme la définit sa maison d’édition. «Ben oui, toi! Moi, je trouvais ça un peu too much» dit-elle, amusée, au sujet de cette description.

Dans Chauffer le dehors, on ne devine que subtilement les origines de l’écrivaine, par exemple lorsqu’elle fait référence aux uishkatshan (geais gris) ou au tshiuetin (le vent du nord), des termes qu’elle utilise au quotidien, précise-t-elle. «Je sens que j’ai un pont à faire entre mes racines et ce que je vis aujourd’hui. Des fois, je me demande comment l’aborder. J’ai compris qu’on pouvait faire ce qu’on voulait dans le fond, qu’on n’a pas besoin d’être légitime pour quoi que ce soit.»

Ainsi, ce qui est implicitement innu dans son recueil, selon elle, ce ne sont pas tant ses références à la nature ou à des lieux, mais le regard qu’elle porte sur la question amoureuse. «Parce qu’on vit vraiment l’amour de façon intense!»

Chauffer le dehors, publié aux éditions La Peuplade, est disponible est librairie.

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