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Sarahmée: «Je suis décomplexée»

Sarahmée Photo: Josie Desmarais/Métro

Après s’être un peu, beaucoup, trop souciée de ce que les autres pensent, la rappeuse Sarahmée a choisi de s’assumer pleinement sur son deuxième album. «Je me suis dit: je fais ce que je veux, je fais l’album qui me tente.» Cet album, c’est Irréversible, créé sans compromis, à prendre ou à laisser. On prend, volontiers.

Quatre ans après Légitime, son premier effort en solo, la souriante rappeuse montréalaise est de retour avec un deuxième album dansant aux influences afro-beat, latine et pop, sur lequel elle s’affirme sans complexe.

Comment vous sentez-vous à l’approche de la sortie d’Irréversible?
Je suis excitée, je suis contente du résultat final. On a travaillé beaucoup sur le son. Ce sont des influences que j’avais déjà dans ma vie, dans mon parcours. Là, on a juste remis tout ça dans une bonne direction, et je pense qu’on a réussi à amener une touche différente dans le paysage rap et urbain francophone. Je suis bien fière!

Musicalement, votre album est très riche. On entend des sonorités variées, le tout dans une ambiance très festive. Aviez-vous le cœur à la fête lors de sa conception?
Je voulais que ce soit le fun en show. L’album précédent était très «rap français». J’ai essayé ici de revenir à mes racines. J’ai dit aux gars [Tom Lapointe et Diego Montenegro]: «Je veux que les gens dansent aux shows.» Quand on est allés à South By Southwest l’an dernier, on a fait quelques chansons, dont Abla Pokou, qui est très afro, et je me suis rendu compte que la langue n’était pas une barrière. La salle était pleine, les gens réagissaient super bien à ces rythmes, à l’ambiance et à l’énergie du spectacle. J’ai compris que ça allait être notre force. Et ça marche.

Comment décririez-vous votre évolution depuis votre premier album, paru en 2015?
Beaucoup de choses ont changé. Premièrement, j’ai pris de la maturité! (Rires) Mon premier album comportait tout ce que j’avais accumulé depuis le début de ma vie. Je revenais sur mon enfance et mon adolescence en Afrique et ici, sur ce que j’ai vécu. Là, cet album est beaucoup plus actuel, il représente qui je suis aujourd’hui, à 32 ans, ce qu’est ma vie, comment je pense ma musique, comment je pense ma carrière.

En fait, il m’a redonné de l’inspiration. Après le premier, je pensais que j’avais tout dit. J’ai eu une période de page blanche. Puis, j’ai changé ma façon de travailler. Avant, Tom était tout le temps à la console quand j’enregistrais mes chansons. Pour cet album, j’ai passé des soirées et des journées entières seule au studio. Ça m’a permis d’essayer plein de choses. Je trouvais la mélodie d’abord, et après j’ajoutais les mots, l’émotion que j’avais par rapport à la mélodie. Ça a donné beaucoup de chouettes chansons qui sont accrocheuses. Je me suis amusée!

«Je ne me suis pas censurée. Des fois, je dis des mots que ma mère ne va pas trop aimer! Avant, je m’empêchais de dire telle ou telle chose, par crainte de ce que les gens pourraient penser. Mais on ne peut pas créer ainsi!» – Sarahmée

On n’imaginerait pas du tout, en écoutant votre album, que vous avez eu le syndrome de la page blanche. Qu’est-ce qui vous a permis de retrouver l’inspiration?
(Rires) En fait, ça s’est vite réglé. Depuis un an, j’ai fait tellement de maquettes; j’aurais pu faire un album double! Je dirais que c’est l’amour, la vie. J’ai fait le ménage un peu l’an dernier. C’était une année de chaos sur plusieurs plans. Je pense que, dans le chaos, naît l’ordre. C’est ce qui est arrivé.

En mai, on a sorti le single T’as pas cru. La réponse a été très bonne, j’ai senti qu’on avait la bonne chanson pour préparer le public. C’est vraiment à partir de là que l’album a commencé à se faire.

Cet album est l’accomplissement dont je suis le plus fière jusqu’ici. J’écoute mes chansons et je suis contente. Ça me donne de l’énergie, de la force. Et c’est ce que je veux que les gens reçoivent; qu’ils soient drivés!

Ça fonctionne!
Ah ben, tant mieux! Je suis vraiment contente. Je pense que les gens vont voir une autre facette de moi et, en même temps, ce que je suis vraiment capable de faire. Je rappe, je chante, je fais plein de choses; en show il y a de la danse… Je pense que l’univers Sarahmée s’est dessiné, il devient plus clair en tout cas. Il l’est maintenant pour moi.

En écoutant les textes d’Irréversible, on vous sent très confiante, assumée, décomplexée. Est-ce représentatif de votre état d’esprit?
Tout à fait. J’avais perdu confiance en moi en tant qu’artiste parce que je n’avais pas les retours que j’espérais pour mes projets. Dans la dernière année, tout ce que j’ai fait autour de la musique m’a ouvert l’esprit. Je me suis dit : «OK, je m’en fous maintenant, de l’avis des gens.» Ça a vraiment été un déclencheur. Je me suis dit: “Je vais être heureuse en faisant de la musique, et je ne vais pas essayer de plaire tout le temps. Si t’aimes pas ma chanson, c’est pas grave, personne n’est mort!” (Rires) Et les gars ont embarqué dans mes délires. Ils m’ont beaucoup conseillée musicalement, ils m’ont envoyé des références qui collaient à l’état d’esprit dans lequel je suis. Je suis assumée, je suis décomplexée, je pense que ça vient avec l’âge un peu! Mais oui, je suis très bien dans ma peau aujourd’hui.

Vous vous êtes prononcée dans les médias récemment sur le manque de reconnaissance des femmes dans l’industrie du hip-hop québécois. Qu’est-ce qui explique cette réalité, selon vous?
J’ai eu des possibilités super quand même, mais je pense que l’industrie reste frileuse. J’ai toujours pensé que faire un show mélangé, par exemple avec moi, Loud, Alaclair ou Koriass, ce serait très cool, parce qu’on échangerait nos crowds. En ce moment, il y a un gros timing dans le rap, Loud va faire un deuxième Centre Bell, c’est quand même quelque chose! Le public se déplace pour écouter du rap fait ici. Alors, pourquoi ostraciser les filles qui en font? Comme si le rap féminin était autre chose que du rap?

J’imagine que vous n’aimez pas cette étiquette de «rap féminin»? Au même titre que les femmes humoristes ont rejeté celle «d’humour féminin» il y a quelques années, lorsque Juste pour rire voulait leur consacrer une soirée?
Oui, c’est vrai! Comme si ça n’équivalait pas à ce qui se fait d’autre en humour. Le fait de coller le mot féminin amène des idées préconçues, alors que ce n’est que du rap. Par exemple, Cardi B ne fait pas du «rap féminin» aux États-Unis. C’est la meilleure rappeuse en ce moment, et elle a un Grammy!

Sentez-vous que les choses bougent un peu, simplement parce qu’on en parle?
Oui. Le fait d’avoir la discussion, c’est bien. Ça brasse aussi les choses, ça ouvre le dialogue. Après, il faut que les actions suivent. C’est sûr qu’il faut que la musique soit bonne. Chacun fait du mieux qu’il peut, je pense. Il ne faut pas classer les artistes. On fait tous de la musique au final, alors pourquoi ne pas se mélanger?

Vous faites plusieurs allusions féministes sur votre album. Vous dites notamment: «Je ne suis plus le sexe faible», «Aujourd’hui je vis ma vie, forte et vulnérable», «The pussy run the world» et «Arrête de dire que j’suis belle». Vous définissez-vous comme féministe?
Oui. Quand j’ai commencé à faire du rap, je n’avais pas vraiment d’opinion sur le sujet. Dernièrement, j’ai beaucoup réfléchi. J’ai vu des Lauryn Hill, des Diams, des Missy Elliott et des Alicia Keys, des femmes super fortes qui restent elles-mêmes, qui font leur truc, et ça m’a motivée. Alors si à mon tour je peux avoir une influence, motiver des jeunes, je suis prête!

Sur Peligrosa, vous chantez: «Yo no soy loca, soy peligrosa» (Je ne suis pas folle, je suis dangereuse). Vous estimez-vous dangereuse?
Non, non! (Rires) Peligrosa, c’est plus pour dire: dont’t fuck with me. Je ne suis pas folle, mais j’ai quand même un petit caractère! (Rires) Je sais que j’ai un tempérament, je sais où je veux m’en aller. Ça va avec l’idée de s’affirmer, de s’assumer. La chanson est tout à fait au second degré, je me suis amusée- avec ce petit côté latin!

Dans la chanson On est ensemble, vous célébrez vos racines sénégalaises. Comment vous influencent-elles?
J’écoute beaucoup de musique afro. J’ai fait mon secondaire à Dakar et je suis restée très proche de mes amis là-bas. J’ai beaucoup de liens encore avec le Sénégal, et aussi avec la Côte d’Ivoire, où j’ai beaucoup d’amis. Je veux retourner faire des shows là-bas et dans d’autres pays d’Afrique. Ici, on connaît les gros noms comme Wizkid, mais la musique en Afrique, c’est énorme! De nombreux artistes n’ont même pas besoin de sortir du continent pour leur carrière, ils font des tournées, des stades, c’est incroyable. Et moi, j’ai eu la chance d’y vivre. Ça m’a amené quelque chose d’important dans ma vie et ça va rester.

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