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«Faire la leçon»: réenchantement scolaire

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L'autrice Rébecca Deraspe et la metteure en scène Annie Ranger sont les créatrices de la pièce Faire la leçon. Photo: Josie Desmarais/Métro

Pénurie d’enseignants, établissements en décrépitude, coupes dans les services aux élèves… Le milieu de l’éducation a manqué d’amour ces dernières années. Les conceptrices de Faire la leçon lui en insufflent une grande dose avec cette pièce. 

Toutes deux mères d’enfants d’âge scolaire, l’auteure Rébecca Déraspe et la metteuse en scène Annie Ranger n’étaient pas à court d’idées lors de la création de cette pièce dont l’action se déroule dans la salle des profs d’une école secondaire… ou plutôt dans un gymnase aménagé en salle des profs, faute de meilleur emplacement.

C’est là que quatre enseignants, Mireille, Camille, Étienne et Simon, se rencontrent à la rentrée, d’abord motivés, puis se retrouvent tout au long de l’année scolaire pour échanger au sujet de leurs classes, de leur vision de l’éducation et de leurs difficultés.

Sans tomber dans les clichés, chacun d’entre eux représente une facette du métier d’enseignant. Camille, convaincue d’avoir un rapport significatif avec les jeunes, se décrit comme «un phare dans la brume de leur adolescence.» Étienne, le prof d’english qui vient d’arriver à Montréal, se voit confronté aux réalités urbaines. Alors que Mireille s’inquiète de la désinformation des élèves et de leur manque d’esprit critique, Simon, le prof de science, se retrouve dans une situation délicate après avoir enseigné le consentement lors d’une dissection de grenouille. 

Tous ont en commun de se sentir déshumanisés par le devoir de réserve que leur impose le système d’éducation. Ou, comme le formule Étienne: «Un professeur / Ça a pas de sentiment / C’est un bouclier dans lequel on peut foncer / Foncer / Pis refoncer.»

«Je me souviens quand j’étais au secondaire, les professeurs les plus engagés étaient ceux qui me passionnaient davantage, soutient Annie Ranger. On ne peut pas en faire des robots; les profs sont des humains!»

S’exprimer sans filtre

Pour humaniser ses personnages, justement, Rébecca Déraspe a écrit des monologues dans lesquels les profs expriment sans filtre ce qu’ils voudraient dire à leurs élèves. «C’est vraiment en faisant cet exercice que j’ai réussi à entrer dans leur humanité et dans leurs failles, dit-elle. L’idée était de voir ce qu’ils retiennent en eux en raison de leur posture de professeur.»

Dans Faire la leçon, les éducateurs marchent constamment sur des œufs avec leurs élèves. Devrait-on leur annoncer le décès d’une ancienne prof ou plutôt le leur cacher? Et si un jeune levait la main? 

«Les profs se font beaucoup dire quoi faire. Ils se font juger par les gouvernements, par les parents, même par les entreprises, et aussi par les jeunes, qui leur mettent de la pression à leur façon. Ils sont pris en sandwich. Il faudrait leur laisser plus de champ libre! Ils savent ce qu’ils ont à faire», assure la metteuse en scène.

Construite du point de vue des enseignants, Faire la leçon offre néanmoins un droit de réplique aux élèves. «Pour moi, c’était très important, ce contrepoint, parce qu’ils ont des choses essentielles à dire. On gagnerait énormément comme société à les écouter. Peut-être que je suis juste une adolescente éternelle, mais j’ai vraiment cette impression», reprend l’auteure en riant.

L’actualité ayant rattrapé la pièce, écrite il y a près de deux ans, les artistes sentent que cette écoute commence à prendre forme. En font foi les marches pour le climat organisées un peu partout dans le monde par des jeunes ainsi que la popularité de la jeune militante environnementaliste Greta Thunberg. 

Selon Rébecca Déraspe, les élèves méritent plus d’empathie. «J’ai l’impression que mal vieillir, c’est se détacher de la pensée qui progresse. C’est de ça qu’on a pourtant besoin: de s’intéresser à la pensée des jeunes, à leur conception du monde.»

Engagée, mais pas militante

Bien que la création de cette pièce découle de préoccupations réelles des deux artistes face au système d’éducation, Faire la leçon n’est pas une œuvre militante pour autant. Empreintes d’humour et de poésie, les répliques des quatre personnages nourrissent néanmoins une réflexion.

«J’ai l’impression qu’on est en train d’échapper notre système scolaire public au Québec, et ça m’inquiète, laisse tomber Annie Ranger. On a bâti un modèle québécois qui est respectueux des classes sociales, de la mixité sociale, de la gratuité scolaire, mais ça s’effrite pour compétitionner avec l’école privée.»

Sans avoir entrepris de démarche documentaire pour la rédaction de la pièce, Rébecca Déraspe est elle aussi une témoin privilégiée des problématiques vécues dans les écoles. Sa fille de six ans a fait son entrée dans le monde scolaire sans professeur attitré, pénurie d’enseignants oblige. «C’est terrible! À six ans, les jeunes de sa classe commencent leur parcours sans avoir une personne de confiance qui sera leur repère pour l’année.»

Malgré les nombreux bobos du système, Annie Ranger et Rébecca Déraspe vouent une admiration sans bornes aux enseignants, ce qui transparaît tant dans le texte de leur pièce que dans leurs propos en entrevue. «Ils font vraiment un travail colossal, qui a un impact immense sur l’avenir de nos sociétés, et ça n’est pas reconnu», se désole l’auteure. 

Même si elle partage ce constat, sa collègue se montre optimiste, ce qui se reflète dans la finale lumineuse de Faire la leçon. «J’ai parlé de réenchantement dès le début du projet», souligne-t-elle. 

Ce réenchantement passe par le rassemblement, poursuit Rébecca Déraspe. «On ne veut pas faire la morale, mais je pense que, s’il y a message, ce serait: soyons ensemble.» 


Faire la leçon, pièce écrite par Rébecca Déraspe et mise en scène par Annie Ranger, est présentée au Théâtre aux Écuries dès ce soir et jusqu’au 29 novembre.

  • Avant chaque représentation de Faire la leçon, une personne engagée dans le réseau scolaire prendra la parole
    afin de poursuivre le dialogue à ce sujet.
  • «Dans la pièce, on ne peut pas traiter de tout. C’est pourquoi on invite des gens issus de divers mouvements, notamment Je protège mon école publique et L’école ensemble. Après tout, ils nous ont un peu inspirées dans la création», indique Annie Ranger. 
  • Deux tables rondes autour de ces enjeux auront lieu les 19 et 21 novembre.

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