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«American Dharma»: serrer la main du diable

Le réalisateur Errol Morris s’est entretenu avec Steve Bannon, chantre de l’«alt-right» et ancien conseiller du président Trump, pour son nouveau documentaire American Dharma, un film aussi controversé que ce sulfureux personnage.

Comme il en a l’habitude, le cinéaste oscarisée en 2003 pour The Fog of War  a fait de l’interview sa matière première.

Cette fois-ci, il avait jeté son dévolu sur l’un des personnages les plus clivants de la politique américaine. Ancien producteur de cinéma, Steven Bannon a cofondé le site d’extrême-droite Breitbart News avant de diriger la campagne présidentielle de Donald Trump et d’être nommé conseiller stratégique du nouveau président.

Une personnalité si toxique qu’elle a plombé la sortie d’American Dharma aux États-Unis, où Errol Morris a été accusé d’avoir été trop tendre envers Steve Bannon et de lui avoir donné une plateforme pour exprimer ses idées haineuses.

Métro s’est entretenu avec le renommé documentariste à la veille de la sortie du film au Canada.

Vous avez eu de la difficulté à trouver un distributeur pour American Dharma. C’est le résultat d’avoir choisi Steve Bannon comme sujet principal?

Je crois que oui. On dit que j’ai donné une tribune à ce gars. Vous voulez rire? Celui dont il a organisé la campagne électorale est maintenant président des États-Unis! De quelle plus grosse plateforme avez-vous besoin?

Pensez-vous vraiment qu’en jouant à l’autruche et en se mettant la tête dans le sable, tout ça va disparaître?

D’où vient votre intérêt pour une personnalité comme Steve Bannon?

J’ai tourné beaucoup de films à propos de gestes diaboliques et de personnes diaboliques. Avez-vous vu mes films précédents? L’un d’eux (The Fog of War) est à propos d’un gars (le secrétaire à la Défense Robert McNamara) qui a provoqué la mort de millions de personnes en Asie du Sud-Est. Un autre (The Thin Blue Line) sur une injustice incroyable qui a mené à l’exonération d’un potentiel tueur en série. Après ça, pourquoi pas Steve Bannon?

«J’ai fait ce film pour que les gens réfléchissent à ce que l’attitude de Steve Bannon sous-tend. S’ils ne veulent pas le voir ou en discuter, on a un problème.» – Errol Morris

Vous le considérer vraiment comme étant diabolique?

Je ne crois pas vraiment qu’une personne puisse être diabolique. Mais je crois que des actions peuvent être diaboliques et l’élection de Donald Trump en est une.

Ce que j’ai découvert en faisant American Dharma, c’est la nature destructive de Steve Bannon. Lorsqu’il parle de révolution, il veut simplement parler de destruction. Il veut dire «Fuck!» au monde entier et le réduire en cendres. S’il y a quelque chose de positif ou de progressif dans tout ça, c’est très dur à voir. 

J’ai peut-être une mauvaise mémoire, mais je ne me souviens pas avoir vu les Américains autant en colère. On vit dans une époque de colère et Trump en est le produit.

Au début du film, Steve Bannon avoue son admiration pour vos films, notamment The Fog of War. Comment l’expliquer?

D’abord, c’est un film sur la guerre, lui qui voit le monde comme une guerre perpétuelle. Les films sont comme des tests de Rorschach. On y trouve tous des interprétations différentes. Je verrais un film avec Steve Bannon et je suis sûr qu’on en sortirait avec des visions très différentes. C’est comme s’il vivait dans un univers différent. Cela m’en dit beaucoup sur lui.

Twelve O’Clock High, son film préféré qui sert de trame à mon documentaire, est un produit de la Deuxième guerre mondiale. Ce qui est si puissant dans ce film, c’est qu’il parle de gagner à tout prix, jusqu’à la mort. Et c’est la bonne chose à faire, du moins lorsqu’on combat un ennemi comme l’Allemagne nazie, comme dans Twelve O’Clock High. C’est peut-être une vision nihiliste, mais une vision nécessaire pour gagner une guerre contre un ennemi aussi implacable.

Mais Bannon a appliqué les principes de ce film à la campagne présidentielle de 2016. Il n’est plus question d’une victoire sur le fascisme allemand, mais bien une façon de promouvoir le fascisme en Amérique! À tout prix. On peut tout faire. Peu importe les scrupules, les insultes et les mensonges. Il est en guerre et il le dit.

Steve Bannon a-t-il vu le résultat final?

Il l’a vu. J’ai parfois dit qu’il a aimé, mais c’est un peu plus compliqué. Il a d’abord été effrayé parce qu’il considérait que je le présentais comme un raciste. Ce qui, je pense, est vrai. Mais lorsqu’on a commencé à critiquer le film et mon travail, il a commencé à l’aimer…

Nos vivons dans une époque dérangée. Que Dieu nous aide, s’il existe.

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