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Diversité en télé: et si on s’inspirait des webséries?

Marjorie Armstrong et Naya Ali dans «L'arène» Photo: Télé-Québec

Malgré quelques progrès ces dernières années, on déplore encore un manque de diversité culturelle dans la télé traditionnelle québécoise. Et si le petit écran prenait exemple sur ce qui se fait en websérie, où de multiples réalités sont mises de l’avant par de jeunes créateurs?

Plusieurs webséries québécoises sorties récemment racontent sous forme de drame ou de comédie les récits de personnages québécois issus de la diversité culturelle. C’est notamment le cas de Je voudrais qu’on m’efface, Les fleuristes, Dominos, Étudiants libres et Amours d’occasion.

«Il y a au sein de plusieurs webséries actuelles au Québec une plus grande diversité culturelle, sexuelle, et de genre que ce qu’on retrouve à la télévision traditionnelle», soutient la professeure à l’École des médias de l’UQAM, Stéfany Boisvert.

En créant L’arène, dont la deuxième saison est diffusée depuis le printemps sur la plateforme de Télé-Québec, la scénariste et comédienne Marjorie Armstrong souhaitait «raconter un Montréal diversifié.»

Mettre en scène des acteurs racisés «allait de soi», puisque son œuvre se situe à Montréal en 2021. «Ce n’était même pas un questionnement», dit-elle.

L’arène raconte l’histoire de Frédérique, une jeune mère de famille qui se lance dans le milieu des rap battles pour tenter de se venger de son ex. Marjorie Armstrong y joue notamment aux côtés de l’humoriste Erich Preach et de la rappeuse Naya Ali.

Dans ces pages l’an dernier, Preach, qui est aussi de la distribution d’Étudiants libres, créée en 2020 par Richardson Zéphir dans le cadre du festival Juste pour rire, déplorait ne pas se reconnaître en télé québécoise.

«Réflexe conservateur»

Une enquête de Radio-Canada publiée en 2018 révélait qu’il y a de plus en plus de diversité en télé québécoise, mais que les grands rôles sont presque exclusivement donnés aux acteurs blancs dans les productions destinées au grand public.

Le marché local étant petit, la plupart des séries sont destinées aux grandes chaînes généralistes qui ont l’objectif de rejoindre le plus vaste public possible. «Ça amène à prioriser des représentations et des récits un peu plus consensuels, ce qui amène dans bien des cas une tendance à représenter très peu de diversité», explique Stéfany Boisvert.

La compétition avec les grandes plateformes de visionnement en ligne comme Netflix contribue aussi à ce «petit réflexe conservateur», poursuit-elle. «On a davantage tendance à prioriser des personnes connues, ce qui met un frein à l’embauche d’acteurs plus diversifiés.»

À l’inverse, en s’adressant à d’autres publics sur Internet, les webséries n’ont pas l’exigence de présenter des acteurs de catégorie «A» comme têtes d’affiche.

Il est également plus accessible pour les créateurs d’obtenir du financement pour réaliser des webséries, ce qui fait en sorte que de nombreux jeunes artisans sensibles à ces enjeux démarrent leur carrière avec des projets audacieux destinés au web.

«Ça donne un peu plus la chance à ceux qui n’ont pas d’expérience», ajoute Marjorie Armstrong, qui n’avait elle-même jamais écrit de scénario avant de tourner L’arène.

La chroniqueuse Manal Drissi n’avait elle non plus aucune expérience en scénarisation lorsqu’elle a été approchée par la boîte de production KOTV pour écrire une série «sur le racisme ordinaire et l’intégration.»

«Le producteur m’a dit : “Manal, tu as des choses à dire, on a des séries à produire”.»

Avec l’humour et le sarcasme qu’on lui connait, elle a écrit le bien nommé projet Les filles de Khaled, qui raconte le déménagement en région québécoise éloignée d’un père monoparental maghrébin et de ses deux filles.

Ce qui devait au départ être une websérie pourrait prendre un autre format. Comme «la série était un peu complexe et demandait beaucoup de nuances», on a demandé à la scénariste d’allonger la durée des épisodes. Manal Drissi est présentement en réécriture du projet qui n’a pas encore de diffuseur officiel.

La diversité devant et derrière la caméra

Le fait qu’une grande boîte de production l’a approchée en dit long sur le désir de changement dans l’industrie, croit-elle. «Ça démontre qu’il y a des discussions, qu’en mon absence, des gens se sont dit : on a les moyens de faire partie de la solution.»

Une des solutions au manque de diversité à l’écran se trouve d’ailleurs derrière la caméra. Pour raconter les histoires de Québécois de diverses origines, ça prend des auteurs, réalisateurs et techniciens issus de ces communautés.

«Fabienne Larouche fait d’excellentes séries, mais je ne veux pas que ce soit elle qui écrive des personnages noirs, arabes ou musulmans. La meilleure personne pour parler d’une réalité, c’est celle qui la connait.» -Manal Drissi

«La diversité peut être mise de l’avance par n’importe qui, mais plus on octroie la chance à un groupe diversifié d’accéder à la création, plus on observe une diversification dans les représentations», soutient Stéfany Boisvert.

Cercle vicieux : les aspirants créateurs racisés sont peu nombreux à sortir des écoles, car ils ne se reconnaissent pas à l’écran. Pour briser cette tendance, il faudra recruter des artisans autrement.

«KOTV a été super, ils m’ont accompagné pour apprendre à faire de la scénarisation», se réjouit Manal Drissi.

Pour camper le rôle de son amie Ivy dans la saison 2 de L’arène, Marjorie Armstrong a d’emblée pensé à la rappeuse montréalaise Naya Ali. «J’ai écrit le rôle pour elle en ne sachant même pas si elle serait intéressée! J’ai été agréablement surprise : elle sait jouer instinctivement.»

Les castings sauvages, où on recrute des comédiens en dehors des agences traditionnelles, sont une solution efficace selon elle pour éviter de toujours voir les mêmes visages.

C’est notamment ce qu’a fait la réalisatrice Myriam Verreault en cinéma avec son film Kuessipan. Pour former les jeunes acteurs innus non professionnels, elle a organisé des ateliers de jeu dans la communauté d’Uashat mak Mani-Utenam.

Sensibiliser, puis agir

Le mois dernier, la campagne pancanadienne Découvrons-NOUS a été lancée pour sensibiliser le public et l’industrie audiovisuelle à l’importance de la diversité culturelle à l’écran. Parmi ses porte-paroles se trouvent Adib Alkhalidey, Cynthia Wu-Maheux et Mélissa Bédard, des acteurs racisés directement affectés par le manque de diversité dans nos productions.

«Les campagnes de sensibilisation permettent de reconnaître le problème plus concrètement, mentionne Stéfany Boisvert. Il faut donner de la visibilité à ce problème pour lui trouver des solutions.»

Plus le public réclamera des changements, plus l’industrie mettra des moyens en place pour se montrer à l’écoute de la société, ajoute-t-elle.

Une solution souvent évoquée pour augmenter la représentation de la diversité culturelle à l’écran est celle des quotas, qui sont perçus comme un mal nécessaire. «L’application de quotas donne des résultats, mais tu ne veux jamais être la personne qui a été choisie pour satisfaire un quota», soulève Manal Drissi.

Selon Stéfany Boisvert, il faudrait assurer une plus grande diversité dans la distribution des subventions, ce qui permettrait aux œuvres de toucher un plus large public. «Oui, le web offre davantage de possibilités, mais encore faut-il que ces représentations soient vues», souligne-t-elle.

Les solutions devront venir des gens en position de pouvoir, croit pour sa part Marjorie Armstrong. «C’est à moi de me dire, comme scénariste banche : qu’est-ce que je fais? Pour L’arène, ça a été de faire mes recherches et d’aller sur le terrain.»

La comédienne souhaite par ailleurs que cette responsabilité ne repose pas que sur les épaules des créateurs de webséries, qui travaillent avec très peu de moyens.

Chose certaine, il faudra s’armer de patience. «On vit dans une époque d’impatience, on veut que les choses changent tout de suite, dit Manal Drissi en riant. Je crois que les changements les plus permanents vont venir avec les générations qui les portent.»

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