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Kuessipan: l’amitié sans réserve

Kuessipan
Sharon Fontaine-Ishpatao et Yamie Grégoire dans Kuessipan Photo: Max Films Media

«C’était le lieu et les gens avant le livre», dit d’emblée la cinéaste Myriam Verreault à propos de l’élan qui l’a poussée à réaliser son lumineux et bouleversant film Kuessipan, librement inspiré du récit du même nom de Naomi Fontaine. Ce lieu, c’est Uashat mak Mani-utenam, sur la Côte-Nord. Ces gens, ce sont les Innus de cette communauté.

Ces Innus, ce sont notamment Sharon Fontaine-Ishpatao et Yamie Grégoire, interprètes de Mikuan et Shaniss, deux adolescentes inséparables dont l’amitié est fragilisée par une série d’épreuves et de questionnements. Alors que la première aspire à quitter sa réserve pour poursuivre ses études, la deuxième tente tant bien que mal de soigner ses blessures.

«C’est un film sur une amitié», précise la cinéaste, comme pour dire: ce n’est pas un film sur des Innus, mais plutôt un film avec des Innus. «Ces personnages, je les connais et ils me ressemblent. Je peux m’y identifier.»

Kuessipan raconte en effet une histoire universelle, peu importe l’identité des personnages. «C’est ce qui me touchait dans le livre de Naomi. Je pouvais comprendre ce qu’était de vivre sur une réserve, parce qu’elle y parlait de deuil, d’amitié, d’amour…»

D’ailleurs, en français, kuessipan signifie «à toi».

«Les Innus m’ont fait un immense cadeau! Ils m’ont donné toute leur candeur, leur talent… Je suis hyper reconnaissante et je me sens privilégiée d’avoir eu leur confiance.» Myriam Verreault, cinéaste

En tournant cette histoire, Myriam Verreault a brossé un portrait réaliste et nuancé du lieu où évoluent ses protagonistes aussi attachantes que renversantes. Ainsi, les moments de joie (la pêche au caplan, les parties de hockey, les repas en famille) côtoient ceux plus difficiles (la violence conjugale, la consommation) dans leur quotidien.

Bien avant la controverse autour de Kanata, qui a surgi alors que le film était en postproduction, il était primordial pour la réalisatrice de travailler en collaboration avec les Innus et de poser un regard dénué de tout jugement sur leur vécu. «On peut-tu juste présenter une réalité sans la théoriser? On peut-tu laisser les choses vivre, les montrer sans les expliquer?»

Oui, on le peut et elle l’a fait, guidée tout au long du processus de création du film (qui s’est étiré sur pas moins de sept ans) par l’autrice Naomi Fontaine, qui cosigne avec elle le scénario.

En effet, la réalisatrice non autochtone avait besoin d’une alliée. Comme mentionné au tout début de ce texte: le lieu et les gens sont venus en premier pour Myriam Verreault, qui a eu le coup de foudre pour les deux la première fois qu’elle a mis les pieds à Uashat mak Mani-utenam pour le tournage du documentaire interactif Ma tribu c’est ma vie, diffusé en 2011.

De là, elle a eu envie de faire un film dans la communauté avec ses résidants dans les rôles principaux. Tout comme elle l’avait fait avec des adolescents non-acteurs de Québec dans son formidable premier long métrage, À l’ouest de Pluton (2009).

«J’aime cette approche documentaire, cette esthétique proche de l’hyperréalisme, dit-elle. Et dans la fiction, on peut aller un peu plus loin, parce que tout est possible.»

Cependant, Uashat mak Mani-utenam n’est pas la banlieue de Québec, où elle a grandi et où elle a tourné son premier film. «À la différence d’À l’ouest de Pluton, je n’avais a-b-s-o-l-u-m-e-n-t pas la légitimité de faire ça toute seule. Je ne connaissais personne, je ne suis pas innue…» D’où le besoin d’une alliée.

La poésie qui crée des images

Cette alliée, elle l’a donc trouvée en la personne de Naomi Fontaine, qui a fait paraître son premier livre, Kuessipan, en 2011. Livre que Myriam Verreault qualifie de «révolution de la littérature autochtone».

«J’ai lu ça en un soir et j’ai capoté! C’était la première fois que je lisais une écrivaine autochtone qui avait un regard naturaliste, ancré dans le présent. C’est un livre marquant autant que Le survenant peut l’être dans la littérature québécoise», soutient la cinéaste, encore émerveillée par sa lecture.

Les deux artistes se sont rencontrées pour la première fois au Salon du livre autochtone de Wendake, où Myriam s’est procuré le livre. «Pour me faire une dédicace, Naomi m’a demandé ce que je faisais dans la vie. Je lui ai dit: “J’essaie de faire des films”», se souvient-elle.

Dans un geste prémonitoire, l’autrice a alors écrit à Myriam Verreault: «Pour la poésie qui crée des images.»

Fait à noter: à l’écrit, Kuessipan ne raconte pas une histoire linéaire avec une intrigue et des protagonistes. Au contraire, chaque chapitre de ce récit en fragments est comme un tableau qui permet de découvrir au compte-gouttes des parcelles de vie de la communauté.

«C’est plein d’images, plein de petits morceaux de puzzle. Sincèrement, il y a 15 films à faire avec ça!» commente la réalisatrice, les yeux pétillants.

Comment traduire ces morceaux de casse-tête en film? On ne pourrait mieux l’expliquer que Myriam Verreault, qui décrit son travail comme de la fan fiction. «Je suis une fan de son livre, et j’ai créé une nouvelle œuvre à partir de là.»

Après sept ans de séjours dans la réserve, d’écriture, de démarches de financement et de tournage, Myriam Verreault a tissé des liens précieux et privilégiés avec les Innus d’Uashat mak Mani-utenam.

L’équipe vit d’ailleurs sur un nuage depuis quelques semaines. Lors de chaque présentation du film en festival, Kuessipan a reçu des critiques dithyrambiques (avec raison) et un accueil chaleureux de la part du public. Après avoir séduit le TIFF, il a remporté le Grand prix au Festival de cinéma de la ville de Québec en septembre.

«On vit un méchant buzz présentement, on capote ensemble! se réjouit Myriam Verreault. C’est sûr que tu ne te frottes pas à ces gens qui ont des histoires de vie incroyables sans que ça te transforme.»

Au public maintenant de se laisser transformer par son film.

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