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Observer «Les enragé.e.s» avec Valérie Bah

Valérie Bah signe Les enragé.e.s
L'artiste Valérie Bah signe son premier livre «Les enragé.e.s» Photo: Soko Negash/Gracieuseté

Les enragé.e.s est un recueil de nouvelles écrit par Valérie Bah. L’artiste multidisciplinaire s’intéresse depuis toujours aux réalités vécues par les personnes noires et queers, et son ouvrage, paru aux éditions du remue-ménage, n’y échappe pas. Rencontre.

Du documentaire aux détours les plus expérimentaux de la création, l’écriture est une pratique artistique qui lui est chère. «Les histoires sortent sous diverses formes», prévient Valérie Bah. Alors qu’elle vient de publier son premier texte «public», Les enragé.e.s, l’autrice donne à voir à ses lecteurs des morceaux de vie portés par une plume franche et sans compromis. «Ma mère luttait contre les racistes» peut-on ainsi lire dans Vols, première étape de cette succession de récits qui se mêlent et s’entrechoquent au fil des pages.

Quelle a été votre démarche avec Les enragé.e.s?

Je voulais relater ce quelque chose propre à notre génération de personnes noires, queers et trans que nos parents n’ont pas nécessairement vécus. Il était important pour moi de parler tant des jobs de merde et du burn-out que de la magie de notre quotidien. J’étais très préoccupée par la structure car la manière dont une histoire est racontée influence les possibilités. L’éclatement, la répétition, les mosaïques… cette vision panoramique, je l’utilisais déjà dans mes films. On pourrait d’ailleurs appeler mon recueil un roman manqué (rires). Il ne fallait pas pas rester dans le schéma classique du hero’s journey [monomythe en français, NDLR] qui reflète, selon moi, le colonialisme. Au contraire, nous existons en relation aux autres. C’est comme cela que j’ai créé un univers où, comme dans une communauté, un quartier, nous nous connaissons tous.

Avez-vous souhaité remettre en question la société, tout ou partie?

Je ne sais pas si j’apporte des réponses à travers Les enragé.e.s, mais en tout cas j’explore l’audace et ce qui est déclenché par la colère, l’ennui, le désir aussi. Ces émotions, nous nous défendons parfois de les ressentir puisque nous sommes dans un système capitaliste très patriarcal. Les histoires de mon livre sont banales, avec des gestes d’affranchissement, comme une protagoniste qui quitte son travail avec flamboyance.

Que signifie le titre, Les enragé.e.s, qui interpelle?

Il s’agit d’une interjection tirée du créole haïtien, puisque mon premier public est la diaspora haïtienne à Montréal ou ailleurs. Je trouvais aussi qu’il y avait un côté trompe-l’oeil à cette expression. C’est libérateur quand on envisage, par exemple, la rhétorique de la angry black woman.

On retrouve également une écriture épicène et inclusive. Pourquoi ce choix?

C’est à la fois important et anodin. J’aimerais préciser que la non binarité a précédé la colonisation. Je m’exprime en français, une langue du colonialisme, et je pense que la langue peut être déployée comme un outil de violence. Il faut donc respecter la volonté de certains de se nommer à travers des pronoms neutres. C’est le cas d’un de mes personnages que j’ai voulu considérer sans le mettre de l’avant ou l’interroger.

J’affectionne aussi les néologismes. Comme je suis d’origine haïtienne, je remarque que le créole influence le français parlé au Québec. Et j’aime beaucoup voir ça. La langue est fluide.

Pourquoi avoir choisi les années 1990-2000 pour planter le décor des récits?

J’avais l’impression que mon devoir était de fabriquer un univers qui appartient à mon quotidien. Pour moi, le message est plus dans la structure et les personnages. C’est plus riche de laisser les lecteurs se reconnaître là-dedans.

Puisque vous évoquez la discrimination, ou au contraire l’inclusion, que pensez-vous des étiquettes que l’on appose sur les gens?

Nous habitons un continuum historique avec des violences corporelles et métaphysiques, qui peuvent parfois être intergénérationnelles. Je crois fermement en la fluidité de l’être humain et que nous pouvons être entiers et complets même si une institution essaie de nous dominer. Nous sommes plus puissants que cela. Les institutions sont fragiles. Comment peut-on justement prouver la fragilité des institutions? Je m’interroge souvent.


Suggestions littéraires de Valérie Bah pour Le 12 août, j’achète un livre québécois! 

  • Chronique frigide de modèle vivant, Pascale Bernardin (les éditions du remue-ménage): «le tout premier titre de la collection Martiales, un recueil de nouvelles très flyées, très saisissantes.»
  • Empreintes de résistance, Alexandra Pierre (les éditions du remue-ménage): «une parution récente, c’est un beau document politique composé d’entretiens entre femmes autochtones, noires et racisées.»
  • Le Marabout, Ayavi Lake (VLB éditeur): «un livre mordant et drôle, empreint de réalisme magique et situé à Parc-Extension.»
  • Zom-Fam, Kama la Mackerel (Metonymy Press): «un recueil de poèmes lyriques entrecoupés de Kreol Mauricien qui composent une cartographie et mythologie queer/trans. C’est juste brillant!»
  • Mémoire d’une amnésique, Jan J. Dominique (les éditions du remue-ménage): «ce livre est un classique d’une écrivaine incontournable, un coming of age situé entre Port-au-Prince, New York et Montréal.»
  • Le livre d’Emma, Marie-Célie Agnant (les éditions du remue-ménage): Tout le monde doit lire Agnant! Ce roman a pour thème la filiation et la portée tentaculaire du Passage du milieu… Ouf, je n’ai pas de mots pour le décrire. Un tour de force.»
  • Inventaires, Stéphane Martelly (Triptyque): «un recueil de poèmes énigmatique et bouleversant par cette écrivain, peintre et chercheure, qui est aussi le cerveau derrière Les Martiales, collection littéraire et véritable laboratoire de création où j’ai eu la joie de porter Les enragé.e.s

«Quoique cette liste n’est pas exhaustive, elle représente pour moi, à la fois une communauté littéraire et une constellation d’auteur.e.s noir.e.s qui réinventent l’imaginaire de la vie au Québec et bien au-delà.»

Valérie Bah

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