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Dave St-Pierre: «Les producteurs se trompent royalement»

Photo: Yves provencher/Métro

Dave St-Pierre est bien conscient de la game qui se joue en culture, mais il refuse d’entrer dans la danse. Le chorégraphe croit qu’il y a de la place pour autre chose que ce que les producteurs servent au public en ce moment. Entretien avec un artiste qui n’aime pas les étiquettes.

Tu travailles ici et tu t’exportes à l’étranger. Selon Dave St-Pierre, comment se porte la culture en 2013?
Je pense que c’est partout pareil. Au cinéma, on veut des films d’action avec des filles nues. En musique, on veut ce qui joue à la radio. Pourtant, Lisa LeBlanc, Pierre Lapointe, Karkwa ne jouent pas à la radio, mais ils remplissent leurs salles. J’ai l’impression que les producteurs et les diffuseurs se trompent royalement. Au Québec, on n’a pas le côté bling-bling de Hollywood. Ils n’auront d’autre choix que de changer pour aller davantage vers les films d’auteur, les musiques d’auteur, la danse contemporaine… Il faut changer les façons de faire et s’adapter à la nouvelle réalité. Aujourd’hui, tu peux devenir un chanteur pop sur YouTube sans même passer par les gros producteurs. Bien sûr, ces nouvelles vedettes vont tomber sur des producteurs qui y verront une façon de faire de l’argent. C’est rendu difficile de faire de l’art juste pour l’art. Il faut toujours que ça rapporte quelque chose. Même en danse contemporaine. Dave St-Pierre, c’est devenu un branding.

Tu n’es pas allé voir P!nk [mercredi] soir?
Non. J’ai vu son vidéoclip et ce n’est pas bon! Ça, c’est un autre truc : la danse contemporaine, c’est rendu mainstream. Dans son vidéo­clip, P!nk fait de la «danse contemporaine». Mais ce n’en est pas vraiment! Ce n’est pas parce que tu danses et sautes sur un lit que ça devient de la danse contemporaine. Aujourd’hui, c’est à la mode d’être edgy… mais pas trop. On vend les choses pour ce qu’elles ne sont pas vraiment, sans trop savoir pourquoi on fait ça. Quand j’ai passé à Tout le monde en parle, on n’a montré que le côté trash de mes spectacles, comme si je ne faisais que ça. Dans mes shows, il y a peut-être 25 % du matériel qui est trash et le reste, c’est normal, voire romantique. Cette manière de vendre me dérange. Je n’aime plus le mot trash, le côté «enfant terrible» qui me colle à la peau.

Ce que tu décris, tu l’observes partout?
Oui. C’est la même chose en Europe, où je suis «l’enfant terrible de la danse». Les gens trouvent ensuite que je ne suis pas si terrible que ça! Et c’est la réalité! Je ne suis pas si trash. Il faut trouver un nouveau mot pour me décrire.

Tu dis que les modes de financement sont archaïques. Pourquoi?
Les structures sont là depuis 20, 25 ou 30 ans. Aujourd’hui, on ne peut plus rentrer dans leurs petites boîtes. Ça ne fitte plus. Il y a tellement de façons différentes de voir l’art! En musique, maintenant, tu peux tout faire de ton salon si tu veux. Mais ce n’est pas le cas en danse. Tu as besoin d’un espace. Tu as besoin de certaines subventions. Y a-t-il moyen de faire du cas par cas? Ce n’est pas leur truc. Alors, je gratte les fonds de tiroir pour aller dans les gros festivals. Je dois payer mes danseurs d’abord. Tu expliques ça aux subventionneurs, mais ils ne sont pas sur le terrain. En plus – et c’est le cas partout, pas seulement chez nous –, les budgets des festivals subissent des compressions importantes, des fois jusqu’à 50 %. Alors nous sommes de moins en moins invités.

L’avenir n’est pas très rose…
Les producteurs ont moins d’argent et je comprends. On coupe sur certaines choses. Il faut faire plus de tournées. Plus il y en a, plus les voyages sont rentables. Ma compagnie n’a jamais été dans le rouge, mais elle est toujours sur la limite. Ça fait presque 10 ans qu’on existe, et c’est encore et toujours le cas. Je gagne à peu près 12 000 $ avec ma compagnie. C’est sous le seuil de la pauvreté. C’est épouvantable! Je dois travailler et créer ailleurs pour subvenir à mes besoins.

Certains chroniqueurs ont lancé un pavé dans la marre en remettant en question le financement des arts au Canada. Est-ce que c’est un point de vue partagé par plusieurs, à ton avis?

Ce sont des gens ignorants. Ils ne savent pas comment ça fonctionne. Ils croient que le Cirque du Soleil a commencé comme ça. Non, il a d’abord eu des subventions. À la limite, je suis sûr que René Angélil a demandé de l’argent quand Céline Dion a commencé. Là, on parle de grosses machines. C’est clair qu’elles n’ont plus besoin de subventions, mais qui arrive jusque-là? Tout le reste des compagnies et des artistes reçoivent des subventions. Que ce soit le Festival Juste pour rire ou le Jazz. Il faut expliquer aux gens comment ça se passe et pourquoi on a besoin de cet argent-là. C’est rentable, les arts. Je fais travailler au-delà de 40 personnes et, quand nous partons en tournée, nous représentons le Québec. En plus, notre réputation est excellente.

L’étoile du Québec n’a pas pâli à l’étranger?
Non. Mais pour ça, il faut qu’une société puisse aider ses artistes. Quand je vois que certains roulent partout sur la planète, mais qu’ils n’ont pas d’argent, ça me dépasse. Ce n’est même pas une question de mauvaise gestion, c’est simplement qu’ils n’ont pas d’argent!

Qu’est-ce qui t’emballe en ce moment en culture?

Il y a une personne qui m’emballe vraiment en ce moment et c’est Yoann Lemoine. Il chante, il fait de la musique, il fait des vidéoclips hallucinants. C’est le genre d’artistes que j’aime bien.

Qu’est-ce qui te fait grincer des dents?
Quand je vois en une d’un magazine Marie-Mai nous présenter sa sœur et son filleul. On s’en…

D’un public à un autre
Nous avons demandé à Dave St-Pierre de nous décrire les publics devant lesquels il a présenté des spectacles.

  • Public allemand. Les gens sont si silencieux pendant le spectacle qu’on se demande s’ils sont là. C’est qu’ils sont très attentifs. Ils donnent leur amour aux artistes à la fin.
  • Public français. Quandles gens haïssent ça, ils le font sentir, et quand ils adorent ça, ils le font sentir aussi. Ils sont intransigeants.
  • Public londonien. Facilement choquable. Les Anglais n’ont pas le même type d’humour que nous.
  • Public québécois. C’est comme la rock star qui revient à la maison. Ça lève. C’est super prétentieux, mais c’est l’impression qu’on a.
  • Public canadien. Conservateur. C’est la même chose aux États-Unis, où on m’a dit qu’on ne jouerait jamais mes shows. Tant pis.

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