«L’autre monde» de David Lynch
Le cinéma du Parc présente ces jours-ci des classiques de David Lynch. Le réalisateur américain a accordé une entrevue à nos collègues de Métro France. L’occasion d’évoquer sa carrière, ses projets, et le petit rôle qu’il tiendra dans le prochain film de sa fille, Jennifer.
Considérez-vous que vos films appartiennent à un genre bien précis?
Je n’aime pas vraiment le mot «genre». Disons que je préfère les idées qui renferment plusieurs genres à la fois. Ceci dit, il y a des grands films de genre. Et j’adore le «noir» en particulier.
C’est ce que vous regardiez dans votre jeunesse?
Pour dire la vérité. Je n’ai jamais été un grand cinéphile. Les films de la Nouvelle Vague française, mais aussi ceux de Bergman, de Fellini… Ce sont les films qui ont fait vibrer mon âme dans ma jeunesse. Les films des studios américains, j’avoue que je les trouvais assez ridicules. Bon, il y avait Hitchcock. Mais le problème était le même qu’aujourd’hui. Il y avait des films de divertissement… et il y avait les autres. Moi je préférais les autres.
À vos débuts, avez-vous eu des difficultés à imposer le type de cinéma que vous aimiez auprès des producteurs?
Lorsqu’on débute, il y a eu une part de chance, de destin. On a des idées dont on tombe amoureux et si on a de la chance on trouve de l’argent pour les réaliser. Je crois que sur Inland Empire, certains distributeurs ont perdu de l’argent. Mais avant ce film-là, je crois que je n’en ai fait perdre à personne. Même si certains n’ont peut-être pas gagné autant qu’ils espéraient (Sourire). Je crois donc que si on réussit à préserver cet équilibre, on peut continuer à faire les films qu’on aime.
Très tôt Elephant Man vous a permis d’obtenir la confiance des producteurs, non?
Elephant Man est arrivé après Eraserhead, qui était diffusé dans le circuit des séances de minuit. Le film a décroché huit nominations aux Oscars, il n’en a remporté aucun, mais ça a été un vrai succès commercial.
Le premier de vos films qui se rapproche du genre policier, c’est Blue Velvet…
Je venais de faire Dune, qui fut un énorme désastre pour moi, même s’il a rapporté de l’argent à Dino De Laurentiis, le producteur. A l’époque Blue Velvet a représenté un énorme soulagement. J’avais le final cut, une vraie liberté, et le résultat s’est avéré une véritable surprise, tant artistique que commerciale. Une surprise heureuse…
Blue Velvet reste une référence pour bien des cinéphiles. Est-ce votre film préféré?
Non, non, je ne peux pas parler de film préféré. C’est comme si vous aviez tous vos enfants debout en rang d’oignons et qu’on vous demandait de choisir lequel vous préférez. Imaginez-les, ils vous regardent avec leurs grands yeux. Même si vous en aviez réellement un préféré, vous ne pourriez pas répondre (rires). Mes films, je les aime tous et je ne les aurais jamais fait sinon. Cela dit quelques années après avoir réalisé Eraserhead, je l’ai regardé avec quelques personnes, lors d’une projection privée, et j’ai dit ce jour-là que c’était un film parfait. Je le pense toujours.
Est-ce que vous revoyez régulièrement vos films?
J’ai une anecdote à ce sujet. Lorsque mon plus jeune fils a eu 14 ans, j’ai décidé qu’il pouvait commencer à voir mes films. Et tous les samedis soir, nous en regardions un à la maison sur grand écran. Je les ai donc tous revus dans ce contexte. C’est là que j’ai découvert Blue Velvet en son 5.1. Et que je me suis aperçu que le mix était catastrophique, un vrai désastre sur certaines parties du film. La stéréo était bien meilleure. Si bien qu’avec mon ingénieur du son, Dean, nous avons demandé à la MGM l’autorisation de refaire le mixage. Et aujourd’hui la version 5.1 est magnifique.
Votre héritage, la manière dont le public découvrira vos films à l’avenir, c’est important pour vous?
Absolument. Je crois que c’est le cas de tous les réalisateurs. Sauf que nous vivons dans une époque très compliquée. Il y a tellement de sons et d’images, provenant de partout au même moment. Il me semble que la capacité de concentration d’un être humain normal devient de plus en plus courte. Et l’expérience du grand écran devient rare, notamment pour le style de cinéma que j’aime. Beaucoup de gens découvrent donc les films sur un écran de télévision, au mieux un écran large, et je trouve ça très triste. Il y a quelques jours, j’ai regardé une édition Blu-Ray d’Eraserhead et une édition Blu-Ray de Lost Highway, afin de les approuver.
Le problème, de nos jours, c’est que chaque territoire a sa version différente. J’ai donc vu un Eraserhead allemand, un Eraserhead britannique, un Eraserhead américain… Et elles étaient toutes plus ou moins sombres. Mais c’était vraiment pas mal. Et puis j’ai vu la version japonaise. (il ferme les yeux) Boom ! De loin, la meilleure. Je ne sais pas comment ils font, mais l’image est d’une subtilité. Lost Highway, pareil. Le film a gardé la texture de la pellicule de cinéma. C’était exquis. Sauf que pouvoir en éprouver le caractère exquis, il faut le voir sur un grand écran. Si vous le regardez sur votre ordinateur, avec ces petites enceintes… Ce n’est pas le même film. Pour moi regarder un film c’est entrer dans un autre monde. Et l’image doit être grande, le son doit être excellent. Pas fort, mais excellent, comme il a été voulu par le réalisateur. Et la pièce doit être plongée dans le noir. La moindre interruption peut briser l’expérience, aussi belle soit-elle. Aujourd’hui des milliers de choses peuvent tout détruire à tout moment. Comme une maladie qui détruit le cinéma tel qu’il devrait être.
D’une certaine manière la miniaturisation des caméras ne va-t-elle pas de pair avec la miniaturisation des écrans?
Je ne crois pas. Attention, j’adore l’image digitale. Sur Inland Empire, j’avais commençais à expérimenter avec une petite caméra numérique, et j’ai voulu aller au bout du film avec, pour une question de cohérence. Ce qui ne veut pas dire que le film doit se regarder sur un petit écran, bien au contraire. Même si c’est ce qui est en train d’arriver.
On dit beaucoup que la télévision actuellement est plus intéressante d’un point de vue créatif que le cinéma. C’est l’avènement de ce que vous aviez commencé avec Twin Peaks?
J’ai l’impression que les chaînes à péage américaines attirent désormais le public d’art et essai, effectivement.
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Vous pourriez rebondir avec une nouvelle série?
J’y pense, j’y pense. La télévision permet de raconter une histoire, sur la durée, ce que le cinéma ne permet pas. Pour moi les deux formats existeront toujours, c’est comme peindre dans un cadre carré ou rectangulaire.
Que pouvez-vous me dire sur vos projets de cinéma. Verra-t-on un nouveau film de David Lynch dans les prochains mois?
Je ne sais pas ce qui va se passer, je ne sais pas.
On doit souvent vous poser la question. Ça vous énerve?
Je n’ai pas fait de film depuis six ans parce que je ne suis pas tombé amoureux d’une idée. Mais peut-être aussi à cause de tous ces changements dont nous venons de parler. C’est compliqué… Reste que j’ai des idées. Donc nous verrons bien.
À l’époque de Sailor et Lula, vous disiez que la violence du film était le reflet de la violence de l’époque. Comment jugez-vous le monde actuel? Pire qu’au début des années 1990?
Moi, je trouve au contraire que le monde est plus léger qu’à l’époque. Bien plus léger. Comme le cinéma, il est dans une période de transition, et je crois qu’il va être intéressant de voir son évolution vers quelque chose d’encore plus positif. Si on réfléchit bien, tous les problèmes actuels – l’économie, la violence – existent depuis les années 1950. Sauf qu’à l’époque, ils étaient gardés secrets. Plus on avance, et plus les gens prennent conscience des problèmes. Nous ne vivons plus dans le noir. Et désormais des gens vont en prison pour le mal qu’ils ont commis. Les choses pourraient changer plus vite, sauf que certaines personnes sont très heureuses comme ça, elles gagnent des milliards grâce au statu quo.
Vous plaidez depuis longtemps pour que la méditation transcendantale entre dans les écoles. Vous pensez que ça empêcherait les tueries comme Aurora?
Il y a une école à San Francisco qui s’appelle Visitacion Valley Middle School. Pendant longtemps, c’était la pire école de la ville. La violence était terrible, au point que les ambulances venaient au moins une fois par semaine. La tension était insoutenable, entre les profs, les élèves, tout le monde. Après avoir tout essayé, un type qui travaille pour l’école, Jim Durkee, a proposé d’essayer la méditation transcendantale. Au début, comme d’habitude, il y a eu des tas de critiques. On a dit que c’était une religion, une secte, de la connerie. Et puis ils ont commencé à proposer la méditation, sur la base du volontariat.
Un an plus tard, le nombre de suspensions d’élèves avait diminué, les notes s’étaient nettement améliorées et les professeurs ont commencé pouvoir refaire l’école, au lieu de faire la police. Désormais, quatre écoles du district de San Francisco proposent la méditation transcendantale à l’ensemble de leurs élèves et seize sont sur liste d’attente. Parce qu’ils voient le bénéfice qu’on peut en tirer. Parce que cette technique que Maharishi Mahesh Yogi nous a apporté est une technique ancienne, qu’il a revitalisé. Elle est là, elle est pure, et elle rend des gens heureux. En Amérique, des vétérans reviennent du front avec des séquelles psychologiques terribles, que les médicaments ne font que cacher. Lorsqu’ils essaient la méditation, boum, leur vie est transformée. Pareil pour les jeunes femmes victimes de la prostitution. Des études sont en train de démontrer les bienfaits de la méditation et je crois que les malentendus à son encontre vont peu à peu se dissiper.
Revenons au cinéma: j’ai entendu dire que vous alliez jouer dans A Fall from Grace, le prochain film de votre fille aînée, Jennifer, aux côtés de Tim Roth. Pouvez-vous me parler du rôle?
Non, car Jennifer ne m’en a pas donné la permission. Vous savez, je n’aime pas beaucoup m’exprimer en public. Et j’ai un infini respect pour les acteurs. Ils sont fabriqués pour ça, ils adorent. J’étais récemment invité du show de l’humoriste Louis CK aux États-Unis, j’ai participé à deux épisodes. C’était traumatisant avant, mais j’ai adoré ça sur le moment. Avec Jennifer, nous verrons bien ce que ça donne. Mais ce n’est qu’un tout petit rôle. (Sourire)
Wild at Heart
Au cinéma du Parc
De ce soir à jeudi à 21 h 15