Voyage interplanétaire avec Farah Alibay
Dans son livre Mon année martienne, Farah Alibay raconte son parcours, de la fille d’immigrant.e.s grandissant à Joliette qu’elle était jusqu’aux laboratoires de la NASA où l’ingénieure en aérospatiale a participé à la mission Mars 2020 en étant aux commandes de l’astromobile Perseverance.
Métro a profité de sa présence au Salon du livre de Montréal pour rencontrer cette «jeune femme à la chevelure écarlate et à la joie de vivre contagieuse» – telle qu’elle est décrite sur la quatrième de couverture – et lui proposer une entrevue «interplanétaire».
Est-ce que le mercure de la Californie vous manque?
«Avant de partir de Los Angeles, j’avais vu qu’il faisait encore chaud à Montréal. Je n’ai donc pas apporté mon manteau d’hiver, mais c’était beau d’être d’ici pour la première neige.»
Vénus n’est pas qu’une planète, c’est également la déesse de l’amour. Pourquoi est-ce important pour vous de vous identifier comme une personne queer?
«En ce moment, je suis avec un homme, donc ce n’est pas nécessairement très visible. C’est quelque chose que j’ai découvert plus tard dans ma vie, car je manquais de représentation dans mon entourage. Les gens peuvent se retrouver dans un parcours différent des autres. Il y a quelques années lors d’une conférence, j’avais une épinglette de la NASA aux couleurs de l’arc-en-ciel. Il y a une personne de 12 ou 13 ans qui est venue me voir et m’a interrogée à ce sujet. Je lui ai dit que j’étais queer et que ça représente ma communauté. Elle a répondu : « You’re one of us, tu travailles à la NASA et c’est accepté? » Ça lui a donné de l’espoir.»
Avec la célébrité, est-ce difficile de garder les deux pieds sur Terre?
«C’est quand même assez facile, parce qu’à Los Angeles, il y a moins de monde qui me connaisse. Mais ça m’a vraiment surprise aujourd’hui au Salon du livre de voir tant de personnes qui voulaient me voir. C’est vraiment extraordinaire de constater quel impact ça peut avoir sur la vie des gens. Ça vaut la peine d’être ici pour voir les étoiles dans leurs yeux.»
Justement, c’était votre première séance de dédicace ce vendredi pour votre livre Mon année martienne. Qu’est-ce que les gens vous disent le plus?
«On me remercie d’être comme je suis, de partager mon histoire et d’inspirer les gens. C’est touchant. C’est le fun de passer un moment humain et d’échanger avec eux. Ça fait un petit bout qu’on a passé du temps tous ensemble.»
Un des grands classiques du cinéma de science-fiction, c’est 2001 : A Space Odyssey qui se passe en orbite de la planète Jupiter. Et vous, quel est votre film de science-fiction préféré?
«C’est peut-être mon préféré aussi. 2001 : A Space Odyssey est un film qui représente le temps que ça prend de voyager dans l’espace. Il est très avant-gardiste.»
La planète Saturne est reconnue pour ses anneaux. Parlez-nous de votre cercle familial ou amical qui vous soutient le plus.
«Ma famille proche et mes amis, c’est là que je vais me ressourcer, mais la personne la plus importante dans ma vie, c’est mon chum. Ça fait presque six ans qu’on est ensemble et il a vécu l’heure de mars avec moi. Ce n’est pas toujours facile d’avoir une blonde qui part partout, qui est ambitieuse et qui lui demande de faire à manger presque tous les jours, parce qu’elle n’a pas le temps. Mais il ne se plaint jamais et il est tellement fier de moi.»
Uranus est la première planète à avoir été découverte à l’ère moderne. Quelle découverte aimeriez-vous voir de votre vivant dans le domaine de l’astronomie?
«Ce qui me motive et ce qui motive beaucoup d’ingénieurs et de scientifiques, c’est la recherche de la vie, que ce soit avec Perseverance sur Mars ou la mission Clipper, qui va aller autour de la lune Europe, en orbite de Jupiter. On cherche de la vie dans notre système solaire, on cherche de la vie sur les exoplanètes avec le télescope James Webb. C’est une grande mission qu’on s’est donnée en tant qu’humanité que de se demander si l’on est tout seul et d’où on vient. J’espère qu’on va pouvoir y répondre pendant mon existence.»
La planète Neptune a été visitée qu’une seule fois, par la sonde Voyager 2, en 1989. Lorsqu’on regarde la dernière photo prise de la planète par cette sonde, on ressent son isolement. Avez-vous un moment dans votre vie où vous vous êtes sentie particulièrement seule?
«Malheureusement, c’est arrivé souvent et c’est d’ailleurs un thème que j’explore dans mon livre. J’ai vécu beaucoup de racisme. Il n’y avait pas beaucoup de familles d’immigrants visibles où j’habitais, enfant. Ç’a été très difficile au début de mon primaire et de mon secondaire, de me sentir différente et seule. J’ai aussi ressenti de l’isolement en commençant mon université et même mon travail. Me retrouver dans un monde où je ne suis pas trop représentée en tant que femme racisée immigrante, c’est quelque chose qui a marqué ma vie et mon parcours. C’est un peu pour ça que je partage ce que je fais. Je me dis que peut-être qu’une autre personne va se reconnaître et va se sentir un peu moins seule.»
Pluton a été déclassée au rang de planète naine en 2006. Avez-vous comme elle, déjà ressenti du rejet?
«Ma première année d’université a été pour moi très difficile. J’ai eu beaucoup d’échecs. C’est un moment où j’ai pensé quitter. Je me demandais si j’y avais vraiment ma place, si j’avais visé trop haut. Éventuellement, j’ai appris à demander de l’aide.»
Est-ce que c’est difficile d’apprendre à demander de l’aide?
«Ah oui, 100 %! On craint d’être jugé. La première fois qu’on demande de l’aide, c’est une grande leçon de vie.»