'Laurence Anyways', le marginal normal de Dolan
MONTRÉAL – Le Dolan nouveau arrive finalement en salles. Vendredi prochain, de la France au Québec, le public fera la connaissance de «Laurence Anyways», qui a permis au jeune prodige québécois de retourner au Festival de Cannes pour une troisième fois en quatre ans — un exploit que peu de cinéastes, même les plus chevronnés, peuvent se vanter d’avoir réalisé.
Dans son plus récent long métrage, Xavier Dolan s’attaque à l’un des derniers tabous, la transsexualité, tout en exploitant un thème central on ne peut plus rassembleur: la quête amoureuse.
Le film, dont l’histoire s’échelonne sur une dizaine d’années, suit le parcours de Laurence (Melvil Poupaud) et de Fred (Suzanne Clément), dont la relation amoureuse sera complètement chamboulée à partir du moment où Laurence annoncera à Fred qu’il souhaite devenir une femme.
Comme il l’avait fait dans ses deux premières oeuvres, «J’ai tué ma mère» (2009) et «Les amours imaginaires» (2010), le réalisateur s’attarde à des thèmes qui font, jusqu’à présent, sa marque de commerce: la différence, la marginalité et la recherche de l’amour inaccessible.
Cette fois, par contre, le jeune cinéaste avait les moyens de ses ambitions: le long métrage, une coproduction entre le Québec et la France, est doté d’un budget de 9,4 millions $.
Il aurait toutefois pu en être tout autrement, puisque le scénario de «Laurence Anyways» est né le deuxième jour du tournage de «J’ai tué ma mère», a signalé Xavier Dolan.
«Ça aurait pu être catastrophique que ce soit le deuxième (film), lance-t-il sans l’ombre d’une hésitation. On n’était pas prêts. Je sais que ça aurait été le jour et la nuit.»
La productrice Lyse Lafontaine partage le même avis. «Je trouve que tout son côté visuel s’est beaucoup précisé dans ‘Les amours imaginaires’. Il a acquis de l’expérience. ‘Laurence Anyways’ est un film extrêmement ambitieux», expose celle qui en est à une première collaboration avec Xavier Dolan.
«Son langage s’est précisé. Pas son écriture de dialogues; ça, il l’a toujours eu, précise Mme Lafontaine. Mais son langage cinématographique est devenu extrêmement sophistiqué.»
Xavier Dolan aura profité de ces quatre années de délai pour peaufiner son scénario, dont la première version faisait 240 pages. Et Suzanne Clément, pour qui le personnage de Fred avait été écrit, aura pu y ajouter son grain de sel.
«J’avais des exigences pour ce personnage-là pour que je veuille le faire, et je les ai verbalisées, explique-t-elle. Au début, je trouvais que Xavier la voyait vraiment comme quelqu’un qui n’était pas capable de donner assez en amour, et ça me mettait hors de moi.»
Si le personnage de Fred peut sembler se rapprocher davantage de la «normalité» que celui de Laurence et de quelques autres originaux que l’on rencontre au fil du récit, il n’en est rien, selon Xavier Dolan.
«Laurence est très certainement le plus ‘straight’ de la ‘gang’ dans le film. Mais c’est celui qui paraît, évidemment, avoir le plus gros problème identitaire (…) C’est un gars qui veut vivre une existence normale. Et ça, on (la société) a de la difficulté avec ça.»
Encore aujourd’hui, estime Xavier Dolan, on a du mal à accepter la différence. À cet égard, la société actuelle n’est pas très différente de celle des années 1990 qui est dépeinte dans «Laurence Anyways».
«Je pense que les gens différents, dans la société, on les marginalise et on les pousse à devenir marginaux alors qu’ils sont simplement différents», suggère le cinéaste qui, cette fois, a choisi de travailler exclusivement derrière la caméra.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il a abattu moins de boulot: le jeune homme de 23 ans porte les chapeaux de producteur exécutif, de réalisateur, de scénariste, de monteur et de concepteur de costumes.
L’expérience a été éreintante, convient-il, mais surtout lors de la pré-production et de la post-production. Par ailleurs, le fait de ne pas incarner un personnage lui a permis de se consacrer entièrement à la réalisation sur le plateau de tournage.
«Là, j’ai pris le temps, à chaque scène, de pouvoir jouer avec les acteurs, de leur donner des notes pendant la scène. Moi, pendant que la caméra tourne, je parle constamment, je ne ferme jamais ma gueule. C’est d’ailleurs très chiant au montage d’entendre ça, et probablement aussi pour les acteurs», lance-t-il en souriant.
Xavier Dolan a déjà témoigné de sa déception d’avoir été écarté de la compétition officielle au Festival de Cannes. Son long métrage sera projeté dans la catégorie Un certain regard, un volet non compétitif.
Il demeure néanmoins fort satisfait de ce nouveau bébé, qu’il est impatient de partager avec le public: «Je suis très fier de l’émotion du film. Je voulais qu’il soit émouvant, et j’ai eu la confirmation des gens qui l’ont vu qu’il l’est, et ça, c’est ma fierté.»
Environ 25 copies de «Laurence Anyways» seront exploitées à travers la province. Ce n’est pas énorme, mais les producteurs préfèrent miser sur le long terme que d’espérer un carton au box-office dès les premiers jours d’exploitation.
D’autre part, en étant projeté à Cannes, le film bénéficiera évidemment d’une vitrine exceptionnelle à l’échelle internationale.
Les deux premières oeuvres signées Dolan ont été vendues dans une trentaine de pays. L’équipe de production ne cache pas son ambition d’aller encore plus loin cette fois. Déjà, certains pays européens, dont l’Allemagne, ont fait part de leur intérêt. Le Festival de Cannes sera l’occasion de sceller plusieurs ententes à l’international.
La première de «Laurence Anyways» aura lieu le 14 mai à Montréal en présence du réalisateur et de plusieurs artisans du long métrage. «Laurence Anyways», qui met aussi en vedette une pléthore de comédiens québécois (Yves Jacques, Monia Chokri, Sophie Faucher, Gilles Renaud et Anne Dorval, entre autres) prendra l’affiche au Québec le 18 mai, le même jour que la première projection devant le public cannois.