Paul Arcand expose «Les collectionneurs d’enfants»
«C’est pas un enfant; c’est une vidéo» : cette phrase, un homme arrêté pour consommation de pornographie juvénile la profère dans la bouleversante série documentaire de Paul Arcand Les collectionneurs d’enfants, diffusée sur la plateforme Vrai de Québecor.
Des collections d’enfants? Oui, de vidéos, d’images d’enfants ou d’adolescent.e.s s’adonnant à des actes sexuels ensemble ou avec des adultes, que des hommes (parce que ces derniers sont majoritaires) regardent, accumulent ou distribuent en quantité faramineuse.
Après s’être penché sur la maltraitance envers les enfants dans son documentaire Les voleurs d’enfance en 2005, le journaliste et animateur Paul Arcand expose dans cette série de trois épisodes les enjeux d’un fléau dénué de frontières, qui n’a ni ville ni quartier : la cyberpédophilie.
Les contenus pédopornographiques ne sont pas logés dans les tréfonds du dark web; non, ils se débusquent à même une recherche élémentaire en ligne. C’est pourquoi nous avions encore besoin d’un documentaire sur la pédophilie, a affirmé Paul Arcand en rencontrant les médias, au début de la semaine. « Le sujet est extrêmement sombre, mais il est important d’en parler. »
Monsieur Tout-le-Monde
Paul Arcand, de pair avec le réalisateur André St-Pierre, s’est inspiré du rythme haletant du thriller. Sans sensationnalisme, il entraîne les téléspectateur.rice.s dans le feu de l’action, sur le terrain.
Le journaliste a eu un accès plus que privilégié aux enquêteur.rice.s du Servicce de police de la Ville de Montréal (SPVM) — dont les sergent-détectives Michelle Lanteigne et Sabrina Dufour, qu’Arcand a accompagnées sur le terrain — et aux travailleur.euse.s social.e.s de la Direction de la protection de la jeunesse, en plus de donner la parole à des victimes, comme Audrey, dont le viol, filmé, subi à l’adolescence avait été commandé par un prédateur en série sévissant sur Facebook.
Dans Les collectionneurs d’enfants, Paul Arcand s’entretient même avec d’ex-détenus qui avaient été incarcérés pour avoir regardé ou diffusé pendant des années de la pornographie juvénile. Il s’agit d’hommes inscrits au registre des délinquants sexuels, « la catégorie des gens les plus détestés sur la planète », dit l’un d’eux.
Le profil type du cyperprédateur n’existe pas, constate Sabrina Dufour. Elle a arrêté des hommes provenant de tous les milieux, des pères de famille ou des gens isolés, des profs d’université comme des personnes sans emploi, des ados comme de jeunes adultes aux prises avec une maladie mentale non traitée.
Leurs réactions au moment de l’arrestation varient tout autant, observe la sergent-détective : certains s’effondrent en larmes ou sont soulagés d’être attrapés, tandis qu’à l’opposé, d’autres se déresponsabilisent, ne voient pas en quoi le fait de regarder ces vidéos est illégal, ne conçoivent pas la victime d’agression sexuelle derrière les images pédopornographiques.
Leur but : sauver des enfants
Les images tirant sur le bleu du documentaire rappellent la dureté du sujet, que seul illumine le dévouement des intervenant.e.s de première ligne dont la récompense suprême est de sauver des enfants d’agresseurs. « Le chèque de paie, il est là », résume le commandant du SPVM Marco Breton dans Les collectionneurs d’enfants.
L’on assiste avec Arcand à des opérations policières, à des enquêtes de la DPJ ainsi qu’à des arrestations d’hommes accusés de distribution ou de consommation de pornographie juvénile.
« Une bombe va tomber dans le salon d’une famille ce matin », prévient Michelle Lanteigne dans le documentaire, avant de procéder à l’arrestation d’un père, dont la conjointe ignorait tout de la consommation de pédopornographie. « La vie des gens autour va basculer », rappelle la sergent-détective.
C’était la première fois que le SPVM ouvrait ainsi ses portes. Le commandant Breton a avoué lors d’une table ronde médiatique s’être montré de prime abord réticent face au tournage, craignant de dévoiler des techniques d’enquête en matière de cyberpédophilie.
Même les collègues des autres services ne peuvent entrer dans le local de l’équipe traquant les cyberprédateurs. Le matériel pornographique auquel elle est exposée aurait notamment de quoi accabler quiconque n’est pas formé pour y faire face.
Les hébergeurs, un enjeu politique
Ultimement, aux yeux de Paul Arcand, au-delà de l’horreur, il y a l’espoir. Que l’on se responsabilise, collectivement, politiquement, pour mieux prévenir le fléau de la cyberpédophilie. La Fondation Marie-Vincent, qui soutient les enfants et les ados victimes de violence, offre même des formations de prévention de la violence sexuelle dans les garderies, fait savoir Marco Breton.
En cette ère où les enfants ont accès de plus en plus jeunes à de multiples appareils technologiques et aux réseaux sociaux, le journaliste aguerri pointe, en rencontre avec les médias, les hébergeurs web, ces entreprises qui hébergent en ligne sites et messageries, qui stockent de l’information. C’est là que les enjeux se font politiques, relève Arcand.
« Tant que des hébergeurs rendront accessibles de la pornographie juvénile, il y aura des consommateurs », assène-t-il, du regard grave qu’on lui connaît.
Ce documentaire choc, sidérant, qui laisse sans voix, entre dans la catégorie des œuvres dures à regarder, mais essentielles.