«Vues du fleuve»: regards croisés mère-fille
Jusqu’au 4 juin, la Grande Bibliothèque tient l’exposition gratuite Vues du fleuve, qui regroupe des estampes d’artistes québécois.es sélectionnées sous le thème du Saint-Laurent par le duo mère-fille Manon Barbeau, fondatrice du Wapikoni mobile, et Anaïs Barbeau-Lavalette, autrice et cinéaste.
Lors du vernissage, Anaïs a confié aux médias s’être sentie impostrice devant ce mandat de commissaire invitée, étant donné qu’elle ne se considère pas comme érudite en arts visuels. « Je me laisse toucher, mais je ne pourrais pas en parler mille ans », dit la réalisatrice reconnue pour ses œuvres socialement engagées.
C’est bien la preuve que l’expo, qui se veut réellement inclusive par ses dimensions sonores et visuelles, s’adresse à tout le monde. Il suffit de se laisser émouvoir par ces œuvres… et le fleuve qu’elles évoquent dans le regard du tandem à la complicité palpable.
Regarder, lire, écouter
Une ambiance paisible se dégage de Vues du fleuve, baignée par une lumière naturelle pénétrant par les grandes fenêtres.
Les 36 estampes encadrées sont posées sur des lattes de bois clair et sur des panneaux d’un bleu profond comme le fleuve. Jouxtant les œuvres, des « douches » sonores font pleuvoir les mots d’Anaïs et de Manon, que l’on peut aussi lire sur des panneaux.
Elles racontent le fleuve, ses ressacs, sa houle, ses vagues ainsi que tous ces « trésors de poésie » qu’il recèle : son corail, ses nuances de bleu, ses poissons et autres étoiles de mer.
Afin d’écrire ces textes « intimes et personnels » qui se répondent, les deux artistes se sont isolées dans un chalet de Saint-Fabien-sur-Mer, dans le Bas-Saint-Laurent, avec vue sur le fleuve.
C’est d’ailleurs dans cette municipalité que Manon, à 12 ans, a contemplé le Saint-Laurent pour la première fois, lors des seules vacances qu’elle aura passées auprès de son père, le peintre Marcel Barbeau, cosignataire du Refus global. « Le fleuve, c’était son lieu », commente-t-elle.
À l’instar de son grand-père qui peignait devant le fleuve, Anaïs Barbeau-Lavalette se réfugie invariablement devant le cours d’eau pour écrire.
Une habitude qu’elle voit comme une forme d’héritage inné. « C’est émouvant de penser que c’en est un, en tout cas », dit l’autrice des romans La femme qui fuit, Femme forêt et Femme fleuve.
Quelque chose de très particulier se passe: c’est comme si je me connectais à une espèce d’intimité qui n’existe que devant ce fleuve-là.
Anaïs Barbeau-Lavalette
30 ans du dépôt légal
À l’invitation de Loto-Québec et Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), Manon et Anaïs ont puisé parmi les 1000 œuvres d’art imprimées communes aux collections respectives des deux sociétés d’État afin de créer une exposition visant à souligner les 30 ans de l’extension du dépôt légal.
C’est quoi, le dépôt légal?
Instauré en 1968, le dépôt légal est un règlement en vertu duquel les éditeurs québécois doivent remettre à BAnQ, dont le mandat est de conserver l’ensemble du patrimoine documentaire publié de la province, deux exemplaires de leurs publications. En 1992, le dépôt légal s’est étendu à de nouveaux documents iconographiques, dont les estampes. Depuis 30 ans, les artistes d’ici qui en créent déposent donc un exemplaire de leur œuvre à BAnQ à des fins de préservation.
« Il fallait qu’on serve un propos qui nous tienne à cœur, mais que ça reste ludique », énonce Anaïs.
À force de mettre en commun leurs coups de cœur et d’élaguer leur sélection d’œuvres, elles ont décelé un filon, le fleuve, qu’elles voyaient émerger de toutes sortes de manières : dans les mouvements, les couleurs, les formes, discernant vagues, nageuses, poissons, pêcheurs, récif corallien… et l’eau. « L’eau dans toute sa puissance, celle qui gicle, qui est froide, avec ses plages de rochers — pas la Méditerranée toute bleue et transparente », illustre Manon.
Fusion poétique et politique
Une fois les estampes choisies, le duo a établi un dialogue entre l’approche d’Anaïs, d’abord scientifique, et celle de Manon, plus poétique.
Il y avait à la fois une volonté poétique d’émouvoir et politique d’éveiller et de renseigner, qu’on sorte de cette exposition à la fois éveillé et ému d’en savoir plus sur cette eau qui va mal, mais qui n’est pas complètement perdue si on commence à s’y intéresser pour vrai.
Anaïs Barbeau-Lavalette
D’ailleurs, reposant sur des tables dans le couloir de l’expo, des livres triés sur le volet convient le public à une rencontre littéraire avec le Saint-Laurent.
« C’est un espace démocratisé ici : toutes les générations passent, toutes les classes sociales peuvent traverser l’expo, alors si on peut en sortir en se disant que ces œuvres et le fleuve nous ont touché, qu’on a l’impression de le connaître un peu mieux, on est au début d’un apprentissage », conclut Anaïs.