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Génocide: l’heure est à l’écoute

Judith Lussier

La discussion sur le racisme exige que nous acceptions de prendre une part de l’inconfort sur nos épaules. C’est le test auquel nous convie l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en parlant de génocide commis par le Canada à l’endroit des membres des Premières  Nations.

Pour mémoire, rappelons qu’au XVIIIe siècle, le général Amherst a distribué des couvertures contaminées à la variole pour éliminer les Autochtones. Que, plus récemment, des enfants autochtones ont été séparés de leur famille sans aucune raison valable. Que la politique des pensionnats autochtones visait précisément à «tuer l’indien au sein de l’enfant». Que des enquêtes sur la disparition de femmes autochtones ont fait l’objet de négligences. Que des communautés entières ont été condamnées à l’indigence. Et que jusqu’à tout récemment, des femmes autochtones étaient stérilisées­ contre leur gré.

Mais pour certains, les politiques­ coloniales du Canada­ à l’endroit des premiers peuples n’auraient pas fait assez de morts, n’auraient pas été assez organisées ou intentionnelles pour qu’on puisse parler de génocide.

Visiblement, les critères à remplir pour qu’un génocide soit conforme doivent être approuvés par des gens qui n’ont pas subi de génocide et qui n’ont pas envie de passer pour de mauvaises personnes.

Émancipez-vous, mais à nos conditions! En consacrant plus d’énergie­ à réfuter un mot qu’à reconnaître les crimes qu’il dénonce, on est encore en train de ne pas écouter.

Pourtant, le rapport supplémentaire fourni par l’Enquête justifie sur 30 pages l’utilisation du terme «génocide». L’avis juridique a été rédigé en collaboration avec trois juristes spécialisées dans le droit international et ayant une expertise à propos de la notion de génocide. On y précise que, selon la définition de l’ONU, un génocide est le fait de commettre l’une des actions suivantes dans le but de détruire un groupe : meurtre, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, soumission à des conditions pouvant entraîner la destruction du groupe, entrave aux naissances ou transfert forcé d’enfants du groupe à un autre. Les commissaires précisent par ailleurs que, contrairement aux génocides plus spectaculaires comme l’Holocauste et le génocide rwandais, le génocide colonial est un processus lent qui s’étale sur des siècles.

«L’intention de détruire les Autochtones au Canada a été mise en œuvre graduellement et de façon intermittente à l’aide de différentes approches […] Ces actions et omissions ont compromis leurs droits à la vie et à la sécurité, ainsi que de nombreux droits économiques, sociaux et culturels. Ces actes non létaux n’en ont pas moins mené à la destruction et, bien qu’ils ne cadrent pas dans la conception traditionnelle du génocide, ils n’en sont pas moins inclus dans sa définition», écrit-on dans l’avis juridique.

Il est suspicieusement commode de ne pas reconnaître que le Canada a participé à un génocide. Ce faisant, n’est-on pas en train de reproduire le colonialisme en reprochant aux Premières Nations de ne pas utiliser «nos» mots et «nos» règles de droit de la bonne façon? Émancipez-vous, mais à nos conditions! En consacrant plus d’énergie à réfuter un mot qu’à reconnaître les crimes qu’il dénonce, on est encore en train de ne pas écouter. Le terme génocide est fort. Il frappe l’imaginaire. Et c’est correct. Parce que
ça fait des années qu’on n’écoute pas.

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