Sacrifiée sur la place publique
Êtes-vous au courant de l’affaire Thermitus? Me Thermitus est connue tant dans la communauté juridique que dans la communauté haïtienne; c’est à ce titre que je la connais. Pendant plusieurs mois, elle a fait l’objet d’une importante couverture médiatique. Cependant, j’estime comme plusieurs que sa voix n’a jamais été entendue.
Le 7 février 2018, Tamara Thermitus est devenue la première personne racisée et la deuxième femme à être nommée à la présidence de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. À peine quatre mois après son entrée en fonction, le Protecteur du citoyen commence une enquête à son sujet après réception de deux divulgations provenant d’employés de la commission. Ce sera le début d’une longue saga qui fera couler beaucoup d’encre. L’acharnement médiatique et politique dont Tamara Thermitus a été victime a grandement contribué à ternir sa réputation, mais aussi à obscurcir sa feuille de route. Elle finira par démissionner pour éviter d’être destituée, ce qui aurait été un acte sans précédent. Les torts à sa carrière sont irrémédiables.
Ce qui est choquant, c’est que l’institution, dont le mandat est de protéger les citoyens, ne respecte pas ses propres règles.
Le Protecteur a conclu son enquête et a envoyé un rapport préliminaire à la ministre de la Justice sans jamais avoir collecté la version des faits de Me Thermitus. Pire, dans la suite de son enquête, il a décidé de ne pas tenir compte du témoignage de Me Thermitus subséquemment recueilli, d’ignorer les faits nouveaux rapportés par cette dernière et a fait fi de la preuve documentaire qu’elle avait soumise. Me Thermitus a donc entamé une demande de pourvoi en contrôle judiciaire pour réclamer la nullité de l’enquête. Le Protecteur s’y oppose et une bataille judiciaire a débuté.
Le 27 juin, on apprenait que le juge André Prévost de la Cour supérieure blâmait sévèrement le Protecteur pour des «faits troublants» liés à l’enquête de ce dernier sur l’ex-présidente de la commission. Il reproche à l’institution de ne pas avoir respecté ses propres procédures d’enquête et s’explique mal pourquoi elle s’est empressée de conclure son enquête sans avoir permis à la principale intéressée de se défendre de manière pleine et entière.
Ce qui est choquant, c’est que l’institution, dont le mandat est de protéger les citoyens, ne respecte pas ses propres règles.
Le jugement rapporte que «certaines fuites médiatiques provenant de gestionnaires de la commission» ont alimenté les médias qui l’ont sacrifiée sur la place publique sans aucune vérification. Selon le jugement, tout semble indiquer que l’enquête a été bâclée et que «le Protecteur du citoyen ne peut ignorer les conséquences désastreuses de ses conclusions sur la plus haute fonction qu’exerce Me Thermitus».
Peu de médias ont fait cas des développements dans l’affaire Thermitus, laquelle soulève des questions troublantes qui touchent le cœur de nos institutions. Les médias représentent un pouvoir indéniable dans la société. Ils possèdent la capacité de faire, mais aussi de détruire. Aujourd’hui, j’ai choisi d’utiliser ce pouvoir pour permettre à une femme de regagner un peu de dignité, car cette victoire judiciaire ne peut passer inaperçue. Malouf disait: «Les médias reflètent ce que disent les gens, les gens reflètent ce que disent les médias. Ne va-t-on jamais se lasser de cet abrutissant jeu de miroirs?»