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La métaphore

Frédéric Bérard

La voix qui résonne au bout du fil est forte, détachée, brève et quasi-machiste. On croirait entendre un vieux chum de Mont-Laurier, perdu depuis dans les limbes:

-Ça va, pis toué?

-Ouais. Donc on serait là demain à 11h30, c’est bon?

-Ouais, ok.

-Ça te dérange si je tourne également une vidéo, avec les collègues de ma boîte de prod?

-Non, pantoute.

-Ok, à demain.

-À demain.

Lui, c’est Jonathan Marchand. Mon âge. Militant-leader d’une principale cause: celle de s’assurer que les personnes en situation d’handicap puissent quitter le CHSLD afin de s’installer, à l’aide d’assistants de vie, à même leur domicile respectif.

Arrivés sur place, l’image est saisissante. Le bougre est planté devant l’Assemblée nationale…dans une cage. Habile métaphore: il est, comme trop d’autres, prisonnier d’État. Captif d’une institution qui a su, enfin, choquer l’ensemble québécois au paroxysme du carnage COVID.

Après qu’une sale pneumonie l’ait cloué aux soins intensifs, l’ingénieur y réside depuis 2012. Atteint de dystrophie musculaire, un respirateur artificiel l’aide à respirer mécaniquement, lui qui nécessite des soins sur une base permanente.

-Qu’est-ce qui t’a inspiré ce coup d’éclat?

-Personne nous écoute. Les politiciens font la sourde oreille. On nous niaise.

-Pourtant, le modèle que tu proposes est bon, non?

– L’idée d’assistance personnelle propose que plutôt que de payer afin d’emprisonner en CHSLD les personnes handicapées, l’État nous verserait directement l’argent nécessaire. On embaucherait ainsi nos « assistants de vie », lesquels nous permettraient de retourner dans nos maisons respectives, d’avoir des projets de vie et de contribuer à la société.

Redevenir des citoyens temps plein, comme tu dis.

-Voilà. Et pour chaque piasse investie, l’État obtiendrait entre 34% et 55% davantage de services.

-Wow…

Après vérif, il dit vrai. Entre autres pays ou provinces, l’Ontario, la Colombie-Britannique, la France, la Suède, la Norvège et les États-Unis ont déjà adopté des modèles identiques ou similaires.

Si c’est plus « payant » pour l’État, donc pour tous, et drôlement plus convenable sur le plan éthique et moral, qu’est-ce qui fait que ça traîne, alors?

-La machine, mon gars, la machine. Imagine les jobs en jeu…on se bat contre une grosse machine, et le politique préfère nous ignorer plutôt que d’avoir le courage d’adopter un autre modèle.

-T’as vu Legault, finalement?

-Non, même s’il était ici, hier. Il a préféré rencontrer des jeunes de camps de jour ou un truc du genre.

Son ton est triste, mais réside aux antipodes de la résignation. La mission d’une vie, en quelque sorte. Pour lui, mais aussi pour les 3000 autres de moins de 65 ans dans sa situation, en train de pourrir en CHLSD. Le tout sous nos regards furtifs, bien entendu.

-Mais j’ai maintenant une entente avec son bureau. Je t’attendais pour l’entrevue, on quitte tout de suite après. Ils vont essayer de me sortir de là, créer des comités de travail, etc.

«Essayer»… «comités de travail»…blablabliblobu. Tant de termes et expressions galvaudées qui servent, d’ordinaire, aux politiciens-technocrates à gagner du temps, à fermer la gueule aux contestataires encombrants. Les Marchand de ce monde, quoi.

-Tu crois que ça changera réellement, dans les faits? Je veux dire pour toi, mais aussi pour ceux et celles dans ta situation?

-On verra. Mais on va se battre.

Son regard est perçant, style acier vif. Le silence, jumelé à cet air de tough, glace les sangs. Parce que si le leader devant moi soit cloué en chaise et s’oxygène à l’aide d’un appareil, il en impose plus que bien d’autres bums de profession. Ma proposition pour le titre de sa potentielle autobiographie: Try me, fuckers.

En lieu et place de nos dirigeants, y a de quoi faire dans ses culottes.

-Ta métaphore de la cage est puissante…idem pour ton slogan du «l’État me donne le choix entre le CHSLD et l’aide médicale à mourir»…ça m’a bouleversé.

Il hoche de la tête, regard toujours fixe. Silence lors duquel je conclus que Marchand constitue, en lui-même, une métaphore. Celle du prisonnier refusant simultanément la mort assistée et la détention à tort, optant plutôt pour la résilience à perpétuité.

Respect, mon gars.

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