Foncer coûte que coûte
Son parcours force le respect, sa résilience inspire. Elle remonte à loin, l’immigration de Nahid Aboumansour.
Lui parler de son Liban natal semblerait presque incongru, tant chez elle, c’est ici. Normal après 25 ans! Elle savait alors, en fuyant la guerre, que ce pays dans lequel elle venait pour la toute première fois deviendrait son pays. Parce qu’elle en avait décidé ainsi.
Nahid a la jeune trentaine quand elle s’installe à Montréal avec son mari et leurs trois enfants (un quatrième naîtra peu après). À Beyrouth, il est chirurgien, elle est architecte et enseigne à l’université. «Nous avions un très bon statut social là-bas.» Mais la guerre gronde depuis plus de 10 ans déjà, et le couple aspire à mieux pour ses enfants. Acceptée comme immigrante aux États-Unis et au Canada, la famille opte pour Montréal. «On a pesé le pour et le contre, on s’est longuement informés, on ne venait pas à l’aveugle. Nous savions à quoi nous attendre.»
Une seule déception – de taille – poindra rapidement: la non-reconnaissance de leurs diplômes et expériences. «J’ai très vite compris qu’intégrer l’Ordre des architectes serait extrêmement difficile.» Nahid, qui parle alors anglais et farsi, se donne comme premier objectif d’apprendre le français. «Pour moi, il était clair que, si je voulais m’intégrer et participer à la vie de la société, je devais le parler couramment.» Tout est bon à prendre: cours, implication auprès des écoles de ses enfants, vie de quartier et bénévolat. Non seulement elle apprend le français, mais c’est aussi grâce à la langue qu’elle trouve sa voie professionnelle.
Elle croise par hasard une petite annonce demandant des volontaires pour un projet d’aide aux immigrants. Elle rencontre ainsi Denise Arsenault, de la congrégation des Sœurs de Sainte-Croix, et c’est un coup de foudre mutuel. L’idée de l’organisme Les Petites Mains est lancée. À partir de 1992, elles travaillent concrètement à la mise sur pied d’une structure d’OBNL proposant des services aux femmes immigrées. Aujourd’hui, l’organisme – dont Mme Aboumansour a pris la direction générale – offre des ateliers de formation et de francisation, et développe d’autres volets pour favoriser l’intégration des femmes isolées.
«Les immigrants sont très qualifiés, mais très démunis parce que leurs diplômes ne sont pas reconnus. Pour ceux qui arrivent avec un niveau scolaire moyen, c’est le paradis. Ils trouvent facilement des emplois d’ouvrier très bien payés. Mais pour des gens très diplômés, c’est décevant. L’exclusion qui en découle n’est bonne ni pour l’individu ni pour la société d’accueil. J’ai vécu cette frustration de ne pas avoir pu exercer le métier que j’avais choisi et que j’aimais, pour lequel j’avais étudié. Ma récompense qui [équilibre] cette déception, c’est d’avoir eu l’occasion de faire autre chose qui sert à présent les individus et la société.»
Nahid Aboumansour n’est que très peu rentrée au Liban en 25 ans. Trois ou quatre fois, pas plus. Aux nouveaux arrivants, elle veut donner un seul conseil : «Les cinq premières années, oubliez votre pays. Sinon, vous retardez votre intégration. Les familles qui s’intègrent vite et bien sont celles qui ne gardent pas un pied dans chaque pays. Sinon, à chaque aller-retour, on vit les mêmes difficultés, on recommence la même immigration, avec son lot de nostalgie et de sentiment de manque.» Toute une force de caractère!
«Les gens qui immigrent – même si ce sont des réfugiés – sont des gens déterminés, forts, exceptionnels. Ils possèdent cette force.»
Une fois par mois, Métro propose des portraits inspirants de Montréalais issus de l’immigration qui témoignent de leurs parcours et de leurs succès. L’émission de Radio-Canada International Tam-Tam Canada a produit une version radio de ce reportage. Réalisée par la journaliste Paloma Martinez, cette émission est disponible sur le site de RCI.