Piégés dans la précarité
Les jeunes sont de plus en plus nombreux à s’appauvrir en occupant des emplois atypiques qu’ils finiront par conserver une grande partie de leur carrière.
Il m’est de plus en plus difficile d’entendre certaines bêtises qu’on répète trop souvent à propos des jeunes sur le marché du travail. Une d’entre elles est qu’il n’y a pas à s’en faire si certains diplômés ont de la difficulté à trouver un emploi permanent et à temps plein à la fin de leurs études. Il est normal, selon ce point de vue, que le premier emploi décroché soit temporaire ou à temps partiel. C’est là un passage obligé grâce auquel il sera possible plus tard d’obtenir son premier emploi à temps plein et d’accéder ainsi à la sécurité d’emploi.
Il fut une époque où c’était vrai, mais rien n’est moins certain de nos jours. En effet, depuis les 30 dernières années, nos économies produisent plus d’emplois atypiques que d’emplois permanents et à temps plein. Les emplois atypiques comprennent les contrats de travail à durée déterminée, le travail autonome, le travail sur appel et certains emplois à temps partiel. Ce sont des emplois auxquels l’employeur peut mettre fin rapidement, selon les besoins de l’entreprise, mais sans considération pour les besoins de ceux qui les occupent. Or, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, In It Together: Why Less Inequality Benefits All, mai 2015), 56% des emplois créés par ses pays membres entre 1995 et 2013 étaient des emplois atypiques. Cette proportion varie bien sûr d’un pays à l’autre. Au Canada, une étude faite par l’Université McMaster dans la grande région de Toronto permet d’évaluer à 44% la proportion de travailleurs qui occupent un emploi atypique.
Selon l’OCDE, l’augmentation de la précarité de l’emploi explique en bonne partie celle de la pauvreté parmi ses pays membres. En effet, pour l’ensemble de ces pays, le revenu annuel de ceux qui occupent des emplois atypiques ne représente que la moitié de celui des travailleurs permanents. Ce n’est pas seulement parce que plusieurs employés «atypiques» travaillent moins d’heures qu’il en est ainsi, mais aussi parce que leur rémunération horaire est souvent moindre que celle des employés permanents.
Or, toujours selon l’OCDE, environ la moitié de ces emplois atypiques sont occupés par des jeunes de moins de 30 ans, qui se retrouvent piégés en permanence dans leur précarité. Ce piège se referme sur eux d’abord parce qu’ils n’ont pas acquis, dans leurs emplois atypiques, l’expérience voulue pour obtenir un poste permanent, ensuite parce qu’il leur est difficile de payer pour acquérir de nouvelles compétences et augmenter ainsi leur attrait auprès des employeurs.
L’emploi atypique est donc pour les jeunes diplômés un problème sérieux qu’il ne faut pas prendre à la légère. Malheureusement, il existera tant que les employeurs continueront à garder leurs employés dans une position précaire pour préserver leur propre flexibilité.