Les abeilles peuvent apprendre, mémoriser, penser et prendre des décisions
Au moment où les arbres et les fleurs s’épanouissent au printemps, les abeilles sortent de leurs nids et cachettes hivernales. Pour de nombreuses espèces, c’est le moment de s’accoupler. Et certaines construisent de nouveaux nids solitaires ou des colonies.
Les abeilles et les autres pollinisateurs sont essentiels à la société. Ils fournissent environ un tiers de la nourriture que nous consommons, un service dont la valeur mondiale est estimée à 577 milliards de dollars américains par année.
Mais les abeilles sont également intéressantes à bien d’autres égards. Dans mon nouveau livre, What a Bee Knows : Exploring the Thoughts, Memories, and Personalities of Bees, rédigé à la lumière de mes 50 années de recherche sur les abeilles, j’explore la façon dont ces créatures perçoivent le monde et leurs étonnantes capacités de navigation, d’apprentissage, de communication et de mémorisation. Voici ce que j’ai appris.
Au-delà des ruches et du miel
À l’image des abeilles mellifères, l’idée que toutes les abeilles sont sociales et vivent dans des ruches ou des colonies avec une reine est largement répandue. Or, seulement 10 % des abeilles sont sociales. Et la plupart des types d’abeilles ne produisent pas de miel.
La majorité des abeilles mènent une vie solitaire, creusant des nids dans le sol ou trouvant des terriers de coléoptères abandonnés dans le bois mort pour y élire domicile. Certaines abeilles sont des cleptoparasites, c’est-à-dire qu’elles se faufilent dans des nids inoccupés pour y pondre leurs œufs. On observe ce même comportement chez certains oiseaux, notamment chez les vachers qui pondent leurs œufs dans les nids d’autres oiseaux et laissent les parents nourriciers, qui ne se doutent de rien, élever leurs petits.
Quelques espèces d’abeilles tropicales, connues sous le nom d’abeilles vautours (ou abeilles charognardes), survivent en mangeant des carcasses. Leurs intestins contiennent des bactéries acidophiles qui leur permettent de digérer la viande en décomposition.
Des cerveaux bien remplis
Les abeilles perçoivent le monde très différemment des humains. Mais de manière tout aussi complexe. Les abeilles sont des animaux intelligents qui ressentent probablement la douleur, se souviennent des motifs et des odeurs et reconnaissent même les visages humains. Elles peuvent résoudre des labyrinthes et utiliser des outils simples.
Les recherches montrent que les abeilles ont conscience de leur existence et pourraient même avoir une forme primitive de conscience. Pendant les six à dix heures que les abeilles passent à dormir quotidiennement, les souvenirs sont consolidés dans leur étonnant cerveau, un organe de la taille d’une graine de pavot qui contient un million de cellules nerveuses. Il semblerait que les abeilles puissent même rêver. Et j’aime beaucoup cette idée.
Un monde sensoriel étranger
L’expérience sensorielle des abeilles est très différente de la nôtre. Par exemple, les humains voient le monde à travers les couleurs primaires rouge, vert et bleu. Pour les abeilles, les couleurs primaires sont le vert, le bleu et l’ultraviolet.
La vision des abeilles est 60 fois moins précise que celle des humains : une abeille qui vole ne peut voir les détails d’une fleur qu’à une distance d’environ 10 pouces. Cependant, les abeilles peuvent voir des motifs floraux cachés dans l’ultraviolet qui sont invisibles pour nous, et ces motifs les conduisent au nectar des fleurs.
Les abeilles peuvent également repérer les fleurs en détectant les changements de couleur à distance. Lorsque les humains regardent un film projeté à 24 images par seconde, les images individuelles semblent se confondre avec le mouvement. Ce phénomène, appelé seuil de fusion du papillotement, indique la capacité de notre système visuel à résoudre les images en mouvement. Les abeilles ont une fréquence de fusion des scintillements beaucoup plus élevée – il faudrait passer le film 10 fois plus vite pour qu’il leur paraisse flou – et peuvent donc survoler une prairie fleurie et voir des points lumineux de couleur qui ne se distingueraient pas pour les humains.
De loin, les abeilles détectent les fleurs par leur odeur. L’odorat de l’abeille est 100 fois plus sensible que le nôtre. Des scientifiques ont utilisé des abeilles pour renifler des produits chimiques associés au cancer et au diabète dans l’haleine de patients ainsi que pour détecter la présence d’explosifs.
Le sens du toucher des abeilles est également très développé : elles peuvent sentir de minuscules crêtes semblables à des empreintes digitales sur les pétales de certaines fleurs. Les abeilles sont presque sourdes à la plupart des sons aériens, sauf si elles sont très proches de la source. Mais elles sont sensibles aux vibrations.
Résoudre des problèmes
Les abeilles peuvent naviguer dans des labyrinthes aussi bien que les souris, et des études montrent qu’elles sont conscientes des dimensions de leur corps. Par exemple, lorsque de gros bourdons ont été entraînés à voler puis à passer par une fente dans une planche pour atteindre la nourriture de l’autre côté, les abeilles ont tourné leur corps de côté et dissimulé leurs pattes.
Des expériences menées par le chercheur canadien Peter Kevan et Lars Chittka en Angleterre ont démontré que les abeilles ont une capacité d’apprentissage remarquable. Des bourdons ont été entraînés à tirer une ficelle – en d’autres termes, à utiliser un outil – reliée à un disque en plastique contenant des cavités cachées remplies d’eau sucrée. Ils pouvaient voir les puits de sucre mais ne pouvaient pas obtenir la récompense à moins de tirer sur la ficelle.
D’autres abeilles ouvrières ont été placées dans une cage grillagée où elles pouvaient voir ce que faisaient un autre groupe d’abeilles entraînées à tirer cette ficelle. Une fois les nouvelles élèves libérées, elles ont également tiré sur la ficelle pour obtenir les friandises. Cette étude a démontré ce que les scientifiques appellent l’apprentissage social – agir de manière à imiter le comportement des autres.
La pollinisation par les vibrations
Même la pollinisation, l’un des comportements les plus connus des abeilles, peut être beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraît.
Le processus de base est similaire pour tous les types d’abeilles : les femelles transportent sur leur corps des grains de pollen, les cellules sexuelles des plantes, d’une fleur à l’autre, afin de collecter du pollen et du nectar pour se nourrir et nourrir leurs larves en développement. Lorsque le pollen frotte sur le stigmate d’une fleur, il y a pollinisation.
Mon domaine de recherche préféré sur les abeilles examine une méthode appelée pollinisation par vibration. Les abeilles l’utilisent sur environ 10 % des 350 000 espèces de plantes à fleurs du monde qui possèdent des anthères spéciales, structures qui produisent du pollen.
Par exemple, les cinq anthères d’une fleur de tomate sont pincées ensemble, comme les doigts fermés d’une main. Le pollen est libéré par un ou deux petits pores situés à l’extrémité de chaque anthère.
Lorsqu’une femelle bourdon se pose sur une fleur de tomate, elle mord une anthère et contracte ses muscles de vol de 100 à 400 fois par seconde. Ces puissantes vibrations éjectent le pollen des pores de l’anthère sous la forme d’un nuage qui happe l’abeille. Et tout ça, en quelques dixièmes de seconde.
L’abeille, alors suspendue par une patte, racle le pollen dans des « paniers » – des structures situées sur ses pattes arrière. Elle répète ensuite la vibration sur les anthères restantes avant de passer à d’autres fleurs.
Les abeilles utilisent également la pollinisation par vibration sur les fleurs de bleuets, de canneberges, d’aubergines et de kiwis. Mes collègues et moi-même menons des expériences pour déterminer la biomécanique entourant la façon dont les vibrations des abeilles éjectent le pollen des anthères.
Planter pour les abeilles
De nombreuses espèces d’abeilles sont en déclin dans le monde entier, en raison de facteurs de stress tels que les parasites, les pesticides et la perte d’habitat.
Que vous ayez une jardinière en appartement ou plusieurs hectares de terrain, vous pouvez poser quelques gestes simples pour aider les abeilles.
Tout d’abord, plantez des fleurs sauvages indigènes afin que les fleurs soient disponibles à chaque saison. Deuxièmement, essayez d’éviter d’utiliser des insecticides ou des herbicides. Troisièmement, aménagez un terrain dégagé où les abeilles fouisseuses peuvent faire leur nid.
Avec un peu de chance, vous aurez bientôt de nouvelles voisines bourdonnantes.
Stephen Buchmann, Adjunct Professor of Entomology and of Ecology and Evolutionary Biology, University of Arizona
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.