Un chalet qui parle
Je vous ai souvent parlé de mon chalet de St-Adolphe d’Howard. Pendant une quinzaine d’années, j’ai entretenu avec cette petite maison sans prétention, toute mignonne, une relation presqu’humaine. Il m’arrivait d’y aller seul, le vendredi soir, alors que l’autoroute 15 était praticable. Je partais vers 17h30 et arrivais vers 18h45. Maintenant le nord a perdu le nord; il n’est plus accessible. Il prend sa revanche : trop de trafic, trop de cônes oranges, trop de gens pressés, trop de routes impraticables, trop d’automobilistes frustrés et de détours. Donc, à l’époque j’arrivais au chalet et souvent, le lac lui-même m’accueillait le premier avec ses petits bruits de grenouilles, ses couleurs changeantes et ses incalculables finesses. C’est qu’il avait tout un tempérament le petit lac Long.
J’arrivais chez moi à la campagne, ma campagne. Dos au chalet. Face au lac et à la montagne. Je respirais la nature, comme un fumeur qui hume sa cigarette après un trop long voyage en avion. J’entrais dans ce décor familier et le spectacle que je retrouvais était toujours fascinant et grandiose. J’ai tellement aimé cet endroit. Je l’aime toujours. À toutes les semaines, j’entrais, le plus souvent avec des amis ou ma famille, dans une carte postale différente. La nature nous fabriquait les plus beaux paysages, les plus vertigineux scénarios. Des orages violents qui sortaient de l’autre bout du lac et que l’on entendait venir, comme une course de chevaux sauvages, frappent encore mon imagination. Le chant des grillons, comme un acouphène apaisant, le cri des wawarons et le vol effronté des chauves-souris sont inscrits à tout jamais dans ma mémoire.
J’aime me rappeler la brise fraîche du matin, la rosée qui mouillait mes pieds nus et le trèfle qui courait partout sur le terrain. J’ouvre quelques fois les tiroirs de mes souvenances et j’y trouve un restant de perséides du mois d’août , quelques lupins de juin près du garage, deux lilas, un blanc et un autre mauve qui rivalisent de senteurs. Je reconnais aussi certaines soirées au coin du feu, des chansons qui goûtaient la guimauve et des lunes hallucinantes. Je me rappelle des promenades dans le bois en octobre, de la petite source qui pleurait toujours, des poissons que l’on ne pêchait jamais, des baignades nocturnes, des barbecues d’enfer.
Cette petite maison en bois rond me parle encore. Elle me dit tant de choses. Elle me parle de mes amours, de mes vacances, de mes Noël. Elle connaît certaines de mes colères. Elle me dit combien elle s’est faite complice de mes week-ends, elle m’a laissé l’aimer, la transformer et même l’abandonner. Je lui dois beaucoup. Je lui dois l’envers de mon décor. Elle me parle de mes amis qui sont passés par là, qui ont été eux aussi conquis, de mon fils que j’ai vu grandir et de mes cipâtes du Jour de l’An.
J’espère qu’il me parlera encore longtemps mon petit chalet. J’emprunte les chemins de ma mémoire et m’y réfugie souvent.
Parle-moi, parle-moi encore, dis-moi ce que je sais déjà!