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Hausse de loyer: le Mile-End perd-il son identité à petit feu?

Un local dans le Mile-End. Photo: Dominic Gildener/Métro Média

Avec les dizaines de locaux vacants et les départs de nombreux commerçants chassés par de fortes hausses de loyer, le Mile-End perd son identité à petit feu selon plusieurs de ses résidents.

En se promenant sur l’avenue Fairmount et les rues Bernard et Saint-Viateur, impossible de ne pas constater le nombre élevé de locaux commerciaux vacants, dont les devantures sont couvertes de graffitis.

Le Mile-End n’est plus ce qu’il était, selon John Stuart, un artiste qui s’est installé dans ce quartier du Plateau-Mont-Royal il y a une vingtaine d’années. Commerces qui ferment et résidents qui plient bagage: le secteur manque un peu de vie et perd son identité à petit feu, déplore M. Stuart.

«Les propriétaires font des rénovations sur certains appartements pour les transformer en condos. Plusieurs résidents n’ont pas les moyens de vivre dans ces nouveaux logements. Ils doivent donc emménager dans un autre quartier.»

Ce dernier a récemment fait le tour du Mile-End pour prendre en photo les locaux vacants et à sa surprise, il en a identifié une trentaine. Le Montréalais a même écrit un texte sur le sujet pour la CBC.

La dernière victime

Tout récemment, les propriétaires du restaurant Arts Café, situé sur l’avenue Fairmount, ont annoncé que leurs portes étaient fermées pour de bon. Ils comptent cependant rouvrir éventuellement dans un autre bâtiment du quartier. L’endroit en question sera annoncé plus tard.

L’ancien local du restaurant Arts Café (201 avenue Fairmount Ouest).

Selon les informations recueillies par Eater Montreal, les propriétaires de l’immeuble auraient émis à Arts Café un avis d’augmentation de loyer de 40% en plus d’une hausse additionnelle de 7% par année sur cinq ans.

Il y a quelques semaines, la librairie S.W. Welch avait annoncé son intention de fermer ses portes en raison d’une augmentation considérable de son loyer. Toutefois, à la suite d‘une mobilisation de citoyens du quartier, le propriétaire du bâtiment a revu ses demandes à la baisse pour un bail de deux ans. Cette histoire s’est donc en quelque sorte bien terminée, mais il s’agit d’une exception.

Le propriétaire de la boutique de bijoux et de vêtements pour femme Tchango’s situé sur la rue Saint-Viateur, Sergio Anelli, a dû déplacer sa boutique dans un nouveau local, il y a un peu plus de deux ans pour éviter une hausse très importante de loyer.

«J’ai eu deux baux de cinq ans à 1500$ par mois. Shiller Lavy voulait 5 500$. C’est pour ça que j’ai déménagé», explique-t-il.

Problème accentué

La hausse des loyers était déjà un problème dans le Mile-End avant la pandémie, exprime l’administrateur de Mémoire du Mile-End, Joshua Wolfe. Cependant, il est dommage que les propriétaires ne soient pas plus flexibles dans ces temps durs, ajoute-t-il.

«Les petits commerces sont de plus en plus menacés avec l’arrivée des grandes compagnies immobilières dans le Mile-End. En devenant plus homogène avec les rues commerciales des autres secteurs de la ville, il devient difficile pour le quartier de garder son esprit local», dénonce-t-il.

L’augmentation des taxes foncières influence la hausse des loyers, affirme M. Wolfe. De plus, il est parfois rentable pour des propriétaires, se souciant de la valeur à long terme de leur bâtiment, d’avoir des locaux vacants pour des raisons fiscales ou de comptabilité. Le système en place encourage la spéculation immobilière, constate-t-il.

Résidents outrés

Outre les commerçants, plusieurs résidents du Mile-End ont aussi l’impression d’être poussés hors du quartier.

«Les prix des loyers doivent être plus modiques afin d’attirer des gens de différentes classes sociales. Il manque de diversité», soupire un citoyen croisé sur la rue Saint-Viateur. Les propriétaires sont trop gourmands et devraient être plus raisonnables, soutient-il. Le quartier possède une personnalité incroyable, mais il est en train de la perdre avec l’embourgeoisement, selon lui, ajoutant qu’il se passe la même chose ici qu’à Griffintown.

Selon Laura Cinelli, chargée du projet contre la hausse de loyer résidentiel pour le comité logement du Plateau-Mont-Royal (CLPMR), la situation est pire que jamais.

«Il y a des gens qui vivent dans des endroits qui n’ont pas été rénovés pendant des années, ni pour leur bâtiment, ni pour leur logement, et ils se demandent comment ils peuvent se faire augmenter leur loyer de 30 ou 40$ sur des loyers assez bas», partage-t-elle.

Mme Cinelli travaille avec plusieurs personnes qui comptent refuser leur hausse de loyer et quitter éventuellement le quartier parce qu’elles se sentent prises à la gorge en raison du prix élevé de leur loyer. Certaines se sentiraient forcées d’accepter les hausses parce qu’elles habitent dans le même logement depuis plus de dix ans et que leurs voisins paient le double.

Le rôle du gouvernement

Au cours des deux dernières décennies, le Mile-End a été aux premières loges en matière de hausse du prix de l’immobilier, selon le conseiller de la Ville du district du Mile-End, Richard Ryan. Plus récemment, il est devenu impossible pour certaines personnes de rester dans le quartier.

«On est rendu à un point où on a atteint un certain capitalisme sauvage et une spéculation immobilière sans borne. L’avenir à moyen ou long terme n’est plus considéré. L’immobilier d’aujourd’hui ce sont de gros joueurs qui donnent le ton en favorisant une rentabilité extrêmement rapide. Et ces compagnies s’en foutent si le quartier tombe et perd son identité», se désole l’élu.

En 2020, la Commission sur le développement économique et urbain de l’habitation a émis 38 recommandations au gouvernement provincial concernant les locaux vacants. Le comité exécutif y a récemment répondu. Pour ce qui est du contrôle du bail, le gouvernement du Québec a le pouvoir de changer les choses. Il n’existe pas à l’heure actuelle de régie pour les baux commerciaux, explique M. Ryan.

Il devrait être obligatoire pour les commerçants et les propriétaires d’enregistrer leurs baux au registre foncier du Québec, plaide-t-il. Ainsi, en faisant l’acquisition d’un immeuble, un propriétaire ne pourrait pas briser ou changer les conditions d’un bail. Il s’agit là de l’une des 38 recommandations.

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