Soutenez

Une infirmière de RDP récompensée pour son héroïsme en Argentine

Marisa Peiro a participé à la guerre des Malouines en 1982. Photo: Romain Schué/TC Media

Marisa Peiro n’est pas une infirmière comme les autres. Employée au sein d’une résidence pour aînés à Rivière-des-Prairies, celle qui vient d’être récompensée pour son courage par le gouvernement argentin a fait partie de la première promotion de femmes au sein de la marine avant de participer à la guerre des Malouines en 1982. Un souvenir toujours très douloureux.

Les yeux rougies et humides, Marisa Peiro se tait quelques secondes. Assise dans un bureau de la résidence Cité-Rive, au bord de la rivière des Prairies, l’infirmière de 55 ans, installée au Québec depuis plus de 20 ans, a besoin de souffler.

«Même aujourd’hui, c’est très difficile d’en parler. Je ne l’avais jamais vraiment fait», bredouille, la voix pleine de sanglots, celle a reçu fin novembre de la part du ministère argentin de la Défense la «médaille d’honneur du courage» pour ses actes de bravoure durant la dramatique guerre des Malouines en 1982.

«J’ai encore en tête les odeurs, les cris des soldats brûlés. Pendant longtemps, je les entendais en dormant», se remémore Marisa Peiro, âgée aujourd’hui de 55 ans.

Marisa Peiro avec ses habits militaires.
Marisa Peiro avec ses habits militaires.

Une carrière de médecin avortée
Rien ne prédestinait pourtant cette fille d’un patron d’une compagnie de production de fruits et d’une femme au foyer à une telle carrière militaire. Alors qu’elle souhaite un temps devenir médecin, l’Argentine de 18 ans doit stopper ses études pour aider son père malade, qui décèdera quelques années plus tard, victime d’un cancer.

Mais une publicité, entendue à la radio par sa sœur, va changer son avenir, malgré les volontés parentales.

«Pour la première fois, la marine voulait ouvrir ses rangs aux femmes. Mon père ne voulait rien savoir, pour lui, c’était une carrière pour les hommes. Mais j’ai réussi à le convaincre de me laisser, au-moins, passer les examens», se rappelle la native de la région de Mendoza, au centre-ouest du pays, à quelques heures seulement de la frontière avec le Chili.

Des répétitions, puis la guerre
Alors que près de 1 500 jeunes femmes postulent, seule une cinquantaine est retenue. En tête de liste après une série de tests physiques et psychologiques, Marisa Peiro, appelée à se rendre sur la base navale de Puerto Belgrano, près de 1 100 km au sud-est du domicile familial.

Moins de deux ans plus tard, les tests et «les scénarios de film» maintes fois répétés, souvent au milieu d’une nuit agitée au sein de chambres qui accueillaient six à sept jeunes femmes, deviennent réalité.

Quelques semaines avant cette guerre des Malouines entre la dictature militaire argentine, qui a pris le pouvoir après un coup d’État en 1976, et le Royaume-Uni, cette première promotion de néo-infirmières, toutes âgées de 17 à 21 ans, sont chargées de préparer un bateau médical qui sera bombardé quelques semaines plus tard. Le 2 avril 1982, les combats débutent.

14344883_10157346198400004_6943635497121052869_n
Avec ses camarades sur la base navale.

«C’était un cauchemar»
Restée à l’instar de ses camarades sur la base navale durant le conflit, Marisa Peiro accueille les premières victimes et les nombreux blessés. Parfois brûlés. Souvent mutilés.

«À n’importe quelle heure du jour et de la nuit, ils arrivaient. Il y avait des corps entiers, des morceaux, des bouts de bras, de jambes. C’était un cauchemar», avoue-t-elle, des larmes aux yeux.

«On était des étudiantes, il fallait être forte, se débrouiller. On allait couper des jambes avec des médecins, on tenait la main des soldats. On avait le même âge, c’était nos amis. Nous, on ne savait pas ce qu’était une guerre», reprend celle qui aura également été «punie» pour avoir envoyé une lettre à ses parents.

«Je voulais leur raconter, leur dire que j’étais toujours vivante. Mais elle a été censurée et durant trois jours, on m’a privé de liberté en réduisant mes sorties et ma nourriture car j’avais donné des informations censées être secrètes», révèle-t-elle, alors que cette guerre prendra fin après 72 jours de combats qui auront provoqué près d’un millier de décès.

«Mais aussi beaucoup de suicides parmi mes camarades qui ne se sont jamais remises», précise l’héroïque infirmière.

«Je ne voulais pas quitter mon pays»
Un mariage en 1985 et l’envie pressante d’un compagnon comptable de découvrir le Canada, alors que l’économie argentine balbutiait, l’amène à Montréal, avec ses trois enfants, en 1993. Contre sa volonté.

«Je ne voulais pas quitter mon pays, j’ai pleuré et pris un risque. Mais mes enfants sont bien ici et le Canada m’a ouvert ses portes. Il n’y que le froid que je déteste», sourit l’intéressée qui a d’abord travaillé pendant 17 ans dans l’entretien ménager, avant d’intégrer la résidence Cité-Rive en 2008.

«Je voulais reprendre mon vrai métier, celui d’infirmière». Une carrière qu’elle n’oubliera jamais.

Marisa Peiro, au centre, accompagnée par Ronald Brunet, le directeur de Cité Rive, et Sylvie Roy, la directrice des soins.
Marisa Peiro, accompagnée par Ronald Brunet, directeur de Cité Rive, et Sylvie Roy, directrice des soins.

La guerre des Malouines en bref

Le 2 avril 1982, la dictature argentine, au pouvoir depuis 1976, ordonne l’invasion des îles Malouines, situées à l’est du pays, détenues par le Royaume-Uni mais dont la possession est contestée par l’Argentine. Premier Ministre britannique, Margaret Tatcher décide d’entrer en guerre. Le 14 juin, après 72 jours de combats et près de 1 000 décès, dont environ deux tiers d’Argentins, les troupes argentines se rendent. Cette déroute de la junte militaire au pouvoir, qui fait face également à une crise économique, provoque sa chute l’année suivante. Un gouvernement démocratique sera élu en 1983. Près de 30 000 personnes sont mortes ou portées disparues sous ce régime militaire, notamment de nombreux opposants, intellectuels et artistes.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.