John Chau et les Sentinelles
Hier, les médias nous apprenaient la nouvelle la plus Thanksgiving qui soit: un missionnaire américain de 27 ans du nom de John Chau a été abattu sur l’île de North Sentinel par la tribu des Sentinelles, un peuple qui vit isolé du reste du monde. Malgré les nombreux avertissements et l’interdiction de l’État indien d’approcher l’île à moins de 5km, John Chau s’est acharné à atteindre North Sentinel, Bible à la main.
Celui qu’on a vite décrit comme un aventurier et un explorateur savait quels risques comporte une visite sur l’île habitée par les Sentinelles depuis maintenant 60 000 ans. Chau a aussi joué avec le feu en visitant l’île plusieurs fois auparavant. North Sentinel est interdite d’accès, et ce, pour protéger la population locale. Celle-ci étant isolée depuis longtemps, les risques de choc microbien sont élevés: un détail important que Chau connaissait probablement. Décider d’entrer en contact avec les Autochtones de la région, au risque de les décimer, était ainsi carrément violent.
La nouvelle est donc tombée la veille de l’Action de grâce américaine. Pour ceux qui l’ignorent peut-être, la fête de Thanksgiving, aux États-Unis, a une tout autre connotation. C’est une journée de deuil plus qu’une célébration, puisque l’origine de celle-ci remonte à l’arrivée des pèlerins en Nouvelle-Angleterre et est un symbole de colonisation. C’est d’ailleurs Abraham Lincoln qui en a fait une fête nationale. Si on le voit souvent comme un héros, Lincoln n’est pas toujours apprécié des Autochtones aux États-Unis, à cause du Homestead Act et de la pendaison de 38 Dakota Sioux. Vous voyez donc combien il est ironique que l’histoire de John Chau, un homme dont les motifs étaient en partie religieux, tombe la veille de Thanksgiving.
Pour la modique somme de 25 000$, des pêcheurs ont accepté de le conduire à sa destination finale. J’ai encore du mal à comprendre pourquoi quelqu’un qui sait très bien que les Sentinelles ne souhaitent pas avoir de contact avec l’extérieur s’entête à s’aventurer sur leur île. En 2013, on estimait que plus de 100 peuples vivaient encore coupés du monde extérieur, la plupart d’entre eux vulnérables face à celui-ci. La fascination qu’ils suscitent constitue donc un réel danger pour eux. Si, pour les Américains, l’Action de grâces est synonyme de dinde et de football, pour moi, elle prend un tout autre sens cette année. Comme quoi, l’histoire des «explorateurs» se répète.