Syrie: début d’un retrait militaire américain avant une offensive turque contre les Kurdes
Les troupes américaines déployées dans le nord de la Syrie ont débuté lundi leur retrait de secteurs proches de la frontière turque, ouvrant la voie à une offensive militaire turque contre les forces kurdes pourtant alliées de Washington dans la lutte antijihadiste.
Après s’être opposés longtemps à une telle offensive, les États-Unis ont opéré un revirement majeur en annonçant dimanche leur retrait de régions où se trouvent les forces kurdes syriennes, les Unités de protection du peuple (YPG), cibles de la Turquie.
Le président américain Donald Trump a justifié cette décision en disant vouloir laisser aux protagonistes -«la Turquie, l’Europe, la Syrie, l’Iran, l’Irak, la Russie et les Kurdes» le soin de «résoudre la situation». «Il est temps pour nous de sortir de ces guerres ridicules et sans fin, dont beaucoup sont tribales».
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a averti qu’une offensive turque pourrait être lancée à tout moment «sans prévenir».
Craignant une nouvelle crise humanitaire, l’ONU a dit se «préparer au pire» alors que le conflit en Syrie a fait des millions de déplacés et de réfugiés et coûté la vie à plus de 370 000 personnes depuis 2011. L’Union européenne a, elle, estimé qu’une offensive pourrait exacerber «les souffrances du peuple syrien».
«Les forces américaines se retirent des zones frontalières avec la Turquie», ont indiqué les Forces démocratiques syriennes (FDS), dont les YPG sont la principale composante, dans un communiqué.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), elles se sont retirées de positions clés à Ras al-Aïn et Tal Abyad vers une base militaire située entre ces deux secteurs qui seraient d’après l’ONG, les premiers visés par une offensive turque.
Les forces kurdes ont elles creusé des tranchés et des tunnels dans ces zones ainsi que près de Kobané en prévision d’un assaut, a dit la même source.
Pour les FDS, avec leur décision, les États-Unis «sont sur le point de détruire la confiance et la coopération» entre les forces kurdes et les militaires américains. «Les gens ici ont le droit à une explication», a écrit sur Twitter Mustafa Bali, porte-parole des FDS.
Avec l’aide des États-Unis principalement, les FDS ont pris en mars 2019 l’ultime bastion du groupe jihadiste État islamique (EI) en Syrie et mis fin à son «califat» autoproclamé dans ce pays.
Les FDS ont averti qu’une opération turque entraînerait une résurgence de l’EI et annulerait «des années de combats fructueux» contre les jihadistes. Les chefs de l’EI encore en vie pourraient sortir de «leur cachette», notamment dans le désert.
Une offensive menacerait aussi les prisons et camps gérés par les FDS qui abritent de nombreux jihadistes et leurs familles, ont dit les forces kurdes.
Mais la Turquie a répondu qu’elle «ne laissera pas» l’EI ressurgir.
Des dizaines de personnes ont manifesté à Al-Qahtaniya, une ville syrienne à majorité kurde près de la frontière turque, pour dénoncer le retrait américain.
«Nous n’avons d’autre choix que de défendre notre terre (parce que) les Américains peuvent vendre les kurdes pour leurs propres intérêts», a déclaré à l’AFP Abdel Salam Ali, un manifestant.
À Ras al-Aïn, Mustefa Bozan, un commerçant de 79 ans, a dit à l’AFP «se préparer à la guerre».
«Le sort de la région sera le même que celui d’Afrine», a jugé un autre habitant, Issam Daoud, en référence à une enclave kurde conquise l’an dernier par Ankara.
La Turquie a mené deux offensives dans le nord de la Syrie, la première en 2016 contre l’EI et la deuxième en 2018 contre les YPG.
La semaine dernière, M. Erdogan a affirmé que la Turquie arrivait à bout de sa patience vis-à-vis des États-Unis au sujet de la création d’une «zone de sécurité» dans le nord de la Syrie, convenue entre les deux pays en août.
Cette zone tampon doit séparer la frontière turque et les régions syriennes contrôlées par les YPG, qualifiée de «terroriste» par Ankara.
Alors que les Kurdes syriens ont établi une région autonome dans le Nord à la faveur du conflit complexe en Syrie, la Turquie craint qu’un noyau d’État kurde à sa frontière ne galvanise les velléités séparatistes kurdes sur son propre sol.
Les Kurdes avaient déjà dénoncé l’annonce fin 2018 de Donald Trump de retirer ses troupes de Syrie.
Outre éloigner les YPG de sa frontière, M. Erdogan espère pouvoir utiliser la zone tampon pour y renvoyer jusqu’à deux des 3,6 millions de réfugiés syriens que la Turquie accueille.