Coronavirus: réouverture des usines en Haïti, entre précaution et résignation
Les points jaunes peints tous les mètres sur le trottoir de l’usine sont le premier signe d’adaptation des industries textiles à l’épidémie de coronavirus en Haïti. La reprise du travail, après un mois d’arrêt, s’accompagne de nombreuses précautions, qui ne réussissent pas à compenser toutes les difficultés sanitaires.
Implantée dans le parc industriel de Port-au-Prince depuis 2013, l’entreprise coréenne MBI a pris des dispositions face aux risques épidémiques: passage obligé devant le spectre du thermomètre laser, l’accès est refusé à quiconque aurait une température supérieure à 37,5 degrés.
Une fois leurs mains lavées et leur masque placé sur le visage, les ouvriers peuvent s’installer à leur poste de travail.
«Comme le président l’avait demandé, nous sommes restés chez nous: on a vécu grâce au peu d’économies qu’on avait» raconte Ghislaine, de retour à sa machine à coudre après un mois d’inactivité.
Activité économique au ralenti
Le 19 mars, le président haïtien Jovenel Moïse avait ordonné la fermeture immédiate de toute usine, suite à la détection des deux premiers cas de coronavirus en Haïti.
Aucune assurance chômage n’existe en Haïti et, pour compenser la perte soudaine d’activité, l’État s’était engagé à verser un demi-salaire aux ouvriers.
«L’aide qu’on a reçue ne couvre pas du tout nos dépenses du mois perdu» témoigne l’employée qui, confiant n’avoir reçu qu’un quart de son revenu habituel, préfère ne pas donner son nom de famille.
En raison de la forte inflation et la rapide dévaluation de la monnaie nationale, le salaire minimum des ouvriers n’a cessé de perdre de la valeur au cours des derniers mois.
Mais dans une économie nationale dominée par le secteur informel, les 500 gourdes (4,90 $ US) payés pour une journée de 8 heures de travail sont néanmoins très prisées.
«Des employés qui ne sont pas là actuellement continuent de nous appeler pour venir travailler malheureusement, on ne peut pas les recevoir» regrette Yves Estival, directeur des ressources humaines chez MBI. «Nous devons respecter les ordres donnés par l’État pour la réouverture 30% du personnel seulement» précise-t-il.
Nombre de rangées de machines à coudre restent donc désertes dans l’usine où, à l’habituelle confection d’uniformes médicaux, s’est aujourd’hui ajoutée la production de masques en tissus.
Des masques commandés par Haïti pour lutter contre le coronavirus
Le gouvernement haïtien a passé commande de 10 millions de masques dont le premier million devait lui être offert par les entreprises: MBI a ainsi donné 46 200 pièces à l’État haïtien.
Cette diversification exceptionnelle de l’activité ne saurait pour autant permettre à l’entreprise de poursuivre longtemps son activité car ses principaux clients sont basés aux États-Unis, marché aujourd’hui confronté à une large crise économique.
«Ce n’est pas seulement les États-Unis mais tout le monde entier: nous sommes très inquiets» explique Shin Sangho, président de MBI en Haïti, lors de la visite de son usine organisée pour plusieurs médias internationaux.
«On ne peut pas exporter» renchérit Yves Estival devant un stock de pantalons qui était destiné au marché américain.
Les sensibilisations quotidiennes aux gestes barrières qu’elle reçoit à l’usine ont poussé Evelyne Saintilien à drastiquement changer son retour à domicile après sa journée de travail, installant normalement de l’eau et du savon devant sa porte d’entrée.
Mais ces précautions lui paraissent vaines face aux difficultés qu’elle rencontre lors de ses déplacements en transport public.
«On est collés à cinq personnes par banc. Moi je porte un masque mais ça n’est pas le cas de tout le monde» déplore-t-elle.
«Si on demande à être moins nombreux, alors le chauffeur voudrait qu’on paie pour les passagers qu’il ne peut pas prendre» ajoute-t-elle tout en empilant les masques en tissus noir, semblable à celui qui barre son visage.
Le bruit des machines à coudre s’arrête soudainement dans le hangar. À la pause déjeuner, une majorité d’employés se presse pour aller acheter un plat chaud à l’extérieur du parc industriel.
Et sur le trottoir, au bord d’un axe routier majeur de la capitale, marchandes de nourriture et clients se regroupent autour des chaudières. Sans respect des règles d’hygiène et des distances de précaution.