La fête de l’insignifiance
«L’insignifiance, mon ami, c’est l’essence de l’existence. Elle est avec nous partout et toujours. Elle est présente même là où personne ne veut la voir : dans les horreurs, dans les luttes sanglantes, dans les pires malheurs. Cela exige souvent du courage pour la reconnaître dans des conditions aussi dramatiques et pour l’appeler par son nom.»
Ainsi est lancée une des citations-chocs de Milan Kundera dans un délectable petit bouquin, intitulé La fête de l’insignifiance.
Dans sa postface, sublime par ailleurs, François Ricard conclut ceci : «Dans une acceptation plus large, philosophique, si on veut, l’insignifiance, c’est aussi la disparition du sens, la chute de toutes les valeurs, thème qui, on le sait, traverse déjà toute l’œuvre antérieure de Kundera, qu’on peut lire (ou relire) comme un patient dévoilement, derrière les multiples “rideaux” qui la cachent à notre regard, de l’inexorable et comique fatalité des choses humaines.»
Vrai que celle-ci se veut notamment la pierre d’assise de La plaisanterie et, a fortiori, de L’insoutenable légèreté de l’être, deux autres bijoux signés Kundera.
Pourquoi vous parlez de l’œuvre de l’auteur tchèque en ce beau juillet? Parce qu’il m’a été impossible d’éviter le lien entre celle-ci et l’actuel constat à faire en matière environnementale. La planète s’érode à une vitesse effarante sans quelconque prise en charge politicienne. Ou si peu. Le tout, si l’on exclut un certain mouvement jeunesse, dans un hallucinant mutisme citoyen.
Pourtant, et depuis quelques semaines encore, les nouvelles catastrophistes s’additionnent de manière surréaliste. Au point où l’ONU en appelle à une action urgente et immédiate afin d’éviter la débâcle. Rien de nouveau, direz-vous, partiellement avec raison. Parce qu’une récente conclusion scientifique vient métamorphoser la donne : déjà prévu à très court horizon, le dérèglement climatique progresserait à un rythme encore plus soutenu que dans les pires scénarios. «Le dérèglement climatique a lieu maintenant […] Il progresse même plus vite que ce que prévoyaient les meilleurs scientifiques mondiaux» et «devance nos efforts pour y faire face», affirmait à la fin de juin Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU. Il poursuit : «Chaque semaine apporte son lot de nouvelles destructions liées au climat», invoquant au passage les «inondations, sécheresses, canicules, incendies et mégatempêtes». Mieux encore : toujours selon l’ONU, même si les cibles de l’accord de Paris de 2015 étaient respectées, ce qui est d’ailleurs loin d’être le cas, il serait impossible d’éviter un réchauffement d’au moins 3 oC d’ici la fin du siècle. Conséquence? «Une catastrophe pour la vie telle que nous la connaissons.»
Ce printemps, des températures exceptionnelles sur presque tout l’océan Arctique et le Groenland ont provoqué un recul précipité de l’état des glaces. Plus précisément, la superficie de celles-ci s’élevait à 1,13 million de km2 de moins que la moyenne de la période 1981-2010.
D’autres nouvelles récentes?
Dimanche, le mercure a atteint 21 oC près du… pôle Nord. Record absolu.
De plus, un iceberg gros comme la moitié de Manhattan s’est dernièrement détaché du Groenland. Conséquence logique d’une tendance maintenant confirmée, où ce dernier perd dorénavant entre 200 et 250 milliards de tonnes de glace annuellement. Dans les années 1990? 50 milliards de tonnes…
Cela, par définition, entraîne une hausse marquée du niveau des océans. La dynamique ville de Lagos, au Nigeria, s’enfonce déjà graduellement dans les eaux de l’Atlantique à raison de 1 m par an. Conséquence prévisible aussi pour une tonne de municipalités aux positions géographiques similaires. South Beach et New York, notamment.
Pis à part ça? Un bon été?