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À la défense de l’arrêt Jordan

Frédéric Bérard

En pause de mon cours de Droit constitutionnel de vendredi am, la nouvelle saute à mon écran : arrêt des procédures contre Normandeau et ses co-accusés. Hipelaye. L’allure du week-end, dis-je aux étudiants, vient de changer; préparez-vous à voir vos réseaux sociaux inondés de commentaires d’incompréhension et frustration, voire révolte.

Parce que la tendance est maintenant irréversible : si la présomption d’innocence fut jadis au coeur des paradigmes de notre système de justice, cette époque, soyons lucides, est aujourd’hui révolue. Merci à Facebook et autres tribunaux de l’opinion populaire, les perceptions et l’appétit pour le sang d’autrui aura préséance sur les règles élémentaires de Justice, notamment celle d’attendre la preuve avant de juger. Fondamental, mon cher Watson? Plus aujourd’hui, non. Cette hargne et souhait du pilori sont d’ailleurs galvanisés, a fortiori, lorsque des règles techniques empêchent la tenue même du procès. Parlons Jordan.

Mais au-delà de ma prédiction (malheureusement) juste, un truc supplémentaire est venu me pincer la jugulaire : celui de la désinformation à outrance de ti-counes-improvisés-juristes, dont certains jouissent de tribunes d’intérêt. À les entendre, le sort réservé à Normandeau et ses co-accusés seraient le « prix à payer », par le Québec, pour demeurer dans la Constitution canadienne. Parce qu’évidemment, l’arrêt Jordan serait une nouvelle machination trudeauiste, assurément multiculturaliste quand on y pense, surtout lorsqu’on se rappelle que ce sont des « dividus de races », sinon des libéraux, qui ont principalement bénéficié de l’arrêt-satanique. CQFD.

Or, non seulement ces bêtises sont sans noms, mais font également craindre le pays indépendant qu’ils nous proposent. Un Québec indépendant sans garanties judiciaires? Où Twitter fait office de tribunal? Où un vox-pop tient lieu et place de jury? Cool. Vite un référendum, et vivement Robespierre 2.0. Je me souviens? De ce qui fait mon affaire, oui.

N’en déplaise à ses obsédés et leurs érections pro-démocraties illibérales (que d’aucuns qualifieraient d’ailleurs de fascisantes), les principes de l’arrêt Jordan sont non seulement nécessaires, mais névralgiques, à tout État de droit qui se respecte.

Parce que le droit d’un accusé à un procès dans un délai raisonnable découle, à la base, du paradigme d’un certain humanisme: celui qui refuse que l’individu croupisse dans une attente indéterminée et arbitraire provoquée par un État laxiste, mal intentionné, ou les deux.

Parce que cette garantie se trouve partout en droit international de la personne, notamment par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont Québec se porte depuis fiduciaire.

Parce cette garantie est prévue à la Charte québécoise, adoptée avant même la Charte canadienne.

Parce que le délai maximal entre le dépôt des accusations et la conclusion du procès est d’ordinaire, depuis Jordan, de 18 mois devant la Cour du Québec, et de 30 mois devant la Cour supérieure (ou pour celles instruites en cour provinciale à la suite d’une enquête préliminaire). On ne parle pas d’une fin de semaine, donc. Et selon vous, que souhaitent les victimes alléguées, leur famille et proches? Un procès prévisible dans un avenir déterminé, ou un brouillard infini à la sauce kafka?

Malgré ce qui précède, nos ti-counes ne se gêneront pas d’en ajouter une couche épaisse, admettant implicitement n’avoir jamais lu la décision honnie : « Ouin mais tsé, la défense a juste à multiplier les requêtes, comme dans Normandeau, pis le délai va être busté, pis c’est encore nous autres, les justiciables, qui vont se faire avoir…».

Hilalalala. Ben non, justement, les amis. La décision est limpide : tout délai imputable à la défense sera…soustrait du calcul. Simple de même.

Une dernière affaire : si le délai prévu est excédé, la Couronne pourra néanmoins tenter de justifier l’affaire et demander au tribunal d’accepter une prolongation.

Tout a été prévu, donc. Comme quoi les juges, même si nommé par le salopard de fédéral, ne sont aussi bozos que vous en avez l’air. En bref, et comme le disait (probablement) le grand-père de Boucar Diouf : si tu ne sais pas de quoi tu parles, farme donc ta yeule. Ça vaudra mieux pour tout le monde, notamment la confiance du public en ses institutions.

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