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La guerre du clic

Fugueuse

Avec la rentrée des classes et la rentrée culturelle, vos médias favoris reprennent aussi du poil de la bête.

Animateurs, chroniqueurs, journalistes, commentateurs – les vacances sont dans le rétroviseur pour tout ce beau monde et on doit retrouver un combat du quotidien en contenu numérique: gagner vos précieux clics.

Le clic, c’est l’unité de mesure de votre attention. C’est la donnée avec laquelle on tente aussi d’attirer le regard des publicitaires qui, dans le fond, espèrent obtenir le plus de visibilité possible pour l’argent qu’ils investissent. Plus les clics sont nombreux, plus il y a de gens attentifs à ce qu’on produit.

C’est logique, mais pas forcément vrai.

Parce que, voyez-vous, le clic se gagne facilement avec des petits raccourcis qui, eux, par la bande, alimentent une certaine forme de complaisance et de paresse intellectuelle. C’est, d’une certaine façon, la dictature du contenant qui prévaut sur l’importance du contenu. Dans cette conquête du clic, on mise énormément sur un titre accrocheur, une photo poignante, des lignes assassines en intertitres et des micro-opinions qu’on peut partager sur les médias sociaux et comprendre d’un coup d’œil sans trop s’y attarder.

Puisque le clic se gagne rapidement, pourquoi consacrer du temps au contenu qui, lui, ironiquement, ne rapporte rien de plus une fois que le clic est absorbé par le sacro-saint algorithme robotisé?

C’est d’ailleurs ce même robot qui, d’un coup d’œil paramétré, établira si votre publication mérite l’attention des gens sur les médias sociaux. Par la force des choses, le jugement de ce robot sera crucial à la visibilité de vos contenus, présents et futurs, dans l’éventualité d’un partenariat commercial.

On ne s’en sauve pas, il faut parler le langage du robot pour le séduire et, ultimement, atteindre les individus qui, on le souhaite de tout cœur, prendront le temps de nous lire ou de nous regarder.

«Puisque le clic se gagne rapidement, pourquoi consacrer du temps au contenu qui, lui, ironiquement, ne rapporte rien de plus une fois que le clic est absorbé par le sacro-saint algorithme robotisé?»

Dans cette boucle un peu malsaine, prendre le temps de réfléchir est devenu un luxe, voire une fantaisie. Avec les opinions instantanées et criardes sur de multiples tribunes, plus besoin de s’attarder aux nuances parce que le robot, de toute façon, ne les perçoit pas. Il faut lui taper sur la tête avec un marteau pour que ça résonne fort dans sa conscience programmée.

Force est d’admettre qu’à hauteur humaine, ça fait beaucoup de bruit et de fracas.

C’est pour ça, notamment, qu’on peut avoir l’impression que plusieurs individus radotent les mêmes idées: parce que le robot aime ça, la répétition, la récurrence.

C’est rassurant et ça lui offre des balises claires.

La répétition est aussi la mort de la nuance, et ça aussi, le robot aime ben ça.

Les idées se rapprochent ainsi des mathématiques, et ça, tu peux le programmer pour en prévoir le résultat. Ça, non seulement le robot aime ça, mais les publicitaires aussi.

C’est un peu comme construire des chroniques d’opinions avec des mots-clés dans un chapeau. Plus les mots-clés sont polarisants, plus le succès sera au rendez-vous – peu importe les idées derrière les mots-clés.

Il n’y a pas d’antidote à tout cela, malheureusement.

Il faut nager en eaux troubles sans gilet de sauvetage, et vos chances de survies seront bonifiées si vous ne crachez pas sur les rares bouées disponibles.

Récolter des clics, donc, se fait avec les mêmes armes que ceux qui empruntent des raccourcis pour vous rejoindre. Les mêmes armes aussi que les fake news qu’il faut redoubler d’efforts pour désamorcer ensuite, et les mêmes armes que les démagogues et les intolérants. On doit même composer avec ceux qui espacent leurs paragraphes avec un «on ne peut plus rien dire» bien senti.

Qu’importe sur quel front vous combattez, vous avez toujours plus de chance de remporter une guerre si vous vous armez au moins aussi bien que votre rival.

La guerre des clics ne fait pas exception.

Cela dit, et c’est là où je voulais en venir, j’aimerais vous suggérer de prendre le temps de réfléchir lors de cette rentrée.

Lisez en entier les textes qui captent votre attention. Cliquez un peu moins rapidement, mais plus efficacement. Choisissez à qui vous offrez vos précieux clics parce qu’en 2019, cliquer c’est voter, c’est acheter, c’est offrir du souffle à vos médias parfois en difficulté respiratoire. Osez partager et commenter sur vos réseaux après vos lectures et non avant.

Allez au-delà de la photo et du titre et, de grâce, ne jugez pas la teneur d’un texte par la simple évocation du nom de son auteur.

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